Anti-manuel du faire commun

Il importe tout d’abord de distinguer les “Communs” de “l’approche par les communs”. Les Communs, avec une majuscule pour en désigner le mouvement dans sa diversité d’acceptions et dans sa dimension politique, se situent au niveau de la dynamique d’acteurs directement concernés par une ressource, un service ou un territoire d’intérêt partagé. Quant à l’approche par les communs, elle désigne pour nous l’approche qu’adopte un acteur positionné en facilitateur, ou accompagnateur d’’une dynamique de communs. L’approche par les communs consiste à s’emparer du concept, de l’intention et de la portée politique des Communs pour penser et agir. Dans notre cas en particulier, elle consiste à promouvoir et accompagner des dynamiques de communs dans le cadre de projets d’aide au développement.

Les Communs : des dynamiques d’organisation sociale

Nous définissons les Communs comme une dynamique d’organisation sociale où un ensemble de personnes – acteurs interdépendants et directement concernés par un enjeu d’intérêt collectif (menaces sur une ressource commune, opacité de la gestion d’un service essentiel, disparition des récifs coralliens, réglementation environnementale injuste socialement, etc.) – décide de s’engager dans une action collective pour construire ou prendre part ensemble à une gouvernance partagée. Celle-ci définit et met en œuvre, dans le cadre d’un processus d’apprentissage collectif continu, des règles d’accès et d’usage jugées équitables, qui garantissent la durabilité sociale, économique et environnementale du ou des objets du commun.

Une dynamique de communs peut être représentée de manière graphique comme une simple carte mentale visant à mettre en évidence quelques éléments qui lui sont constitutifs :

 

 

La circularité représente le caractère vivant d’un commun, en perpétuel ajustement selon l’intensité de l’action collective, les décisions prises dans le cadre de la gouvernance partagée, les apprentissages tirés du suivi réflexif.

Une carte mentale pour agir

Les Communs incarnent en quelque sorte l’idéal-type d’un système d’organisation sociale capable de concilier préservation de l’environnement et justice sociale. Cet idéal-type, nous proposons d’en faire une carte mentale pour renforcer la dimension politique de nos actions. Il ne s’agit pas de désigner le “Commun parfait” mais plutôt de s’en inspirer comme d’une grille de lecture et d’action pour :

  • Identifier des dynamiques sociales et environnementales qui s’en rapprochent afin de les promouvoir : la carte mentale des communs est une aide à une lecture de dynamiques de communs existantes.
  • Accompagner dans la durée des dynamiques de communs : cette carte mentale est une aide à la stratégie pour appuyer des dynamiques de communs existantes, en émergence ou souhaitées.

 

Derrière la schématisation simplifiée que nous proposons, toute dynamique de communs s’accompagne de pratiques spécifiques et de relations complexe, entre les humains et avec le vivant. Ces pratiques sont évolutives, et caractérisées par des désaccords, des conflits d’intérêt, des jeux de pouvoirs, d’inclusions et d’exclusions.

Cette partie décrit la carte mentale des communs, c’est à dire ce qui fonde selon nous une dynamique de communs (l’intention politique) et les pratiques qui la caractérise.

Une dynamique sociale intentionnée

Un commun est une dynamique sociale intentionnée. En effet, l’action collective naît d’une intention – souvent vécue comme une nécessité – de coopération et de prendre soin pour davantage de justice sociale et environnementale. Cette intention, c’est aussi celle d’instaurer des relations de pouvoir équilibrées entre citoyens, usagers, pouvoirs publics et opérateurs privés, où les citoyens et usagers peuvent participer aux prises de décision qui les concernent. Ce désir de rééquilibrage s’exprime dans l’évolution des relations entre les humains, entre eux et avec le vivant, et entre les institutions.

Si un commun est dynamique, c’est aussi parce que les représentations de ce qui est juste ou non, le désir ou l’énergie de faire ensemble, de coopérer, de participer, évoluent à titre collectif et individuel. L’évolution du contexte, aussi, est déterminant. Les acteurs du commun ne constituent donc pas une communauté figée mais un ensemble de relations et d’interrelations qui évoluent au gré des convergences et de la complémentarité d’intentions situées, subjectives et évolutives.

Des communautés d’acteurs et des biens communs en forte interdépendance

Du bien commun aux biens communs

Les notions de biens communs et de Communs font souvent l’objet de confusion. Elles ont pourtant un sens très différent. Le bien commun est l’objet mis en commun, tandis que le Commun désigne l’organisation sociale qui se met en place autour du bien commun, avec une gouvernance et des règles pour le préserver équitablement. Cette confusion tient notamment au fait que la notion de “bien commun” recouvre et a recouvert plusieurs sens : de la recherche “du” bien commun au sens philosophique, aux biens mis en commun dans un sens plus économique et utilitariste.

Au Moyen-Âge, Aristote désigne par le bien commun le bien suprême, le bonheur de la communauté politique, c’est-à-dire de la cité. Le bien commun relève de l’intérêt commun qui est au-dessus de la somme des intérêts individuels. Il repose sur le principe du bien, qui est la finalité recherchée des législateurs et du souverain.

Dans un autre registre, et notamment en amont du mouvement des enclosures du XVIe siècle en Angleterre, les biens communs désignent les ressources naturelles – la terre, le sol, l’eau, les forêts, autour desquelles les habitants possèdent différents types de droits.

L’économiste Samuelson formalise en 1954 une classification où les biens communs sont distingués des biens publics en accès libre (ex : l’éclairage public, l’air qu’on respire…), des biens de club, dont l’accès est restreint à un groupe (ex : l’autoroute à péage, espace de coworking…) et des biens privés. Les biens communs sont caractérisés par leur libre accès malgré la rivalité entre les usages qui en sont faits. Ils seront plus tard considérés par Hardin (1968) comme voués à leur perte en raison de la recherche d’une maximisation des intérêts individuels des usagers de ces biens communs – une vision des comportements individuels en adéquation avec la logique libérale de l’époque.

Elinor Ostrom, qui réfute cette hypothèse en soulignant l’existence de modalités de gestion collective de ces biens communs, propose une adaptation de la classification des biens de Samuelson en 1994[1]. Les biens communs, en comparaison aux biens privés, aux biens publics ou aux biens de clubs, nécessitent tout particulièrement d’être régulés à travers des institutions de type “communs” car il est difficile d’empêcher que certains les exploitent ou les dégradent au détriment des autres. C’est sur l’existence et la nécessité de telles institutions qu’Ostrom met l’accent.

[1] Ostrom, Gardner, et Walker 1994

Une acception large des “objets” du commun

Notre manière d’appréhender la notion de biens communs se rapproche de celle d’Ostrom tout en l’élargissant. Les biens communs sont à la fois nécessaires à la vie ou essentiels au quotidien, ils sont généralement épuisables, ou dégradables par d’autres, ils relient les individus entre eux et avec le vivant et sont difficiles à réguler. Pour toutes ces raisons, les biens communs doivent être préservés collectivement. Cela implique de mettre en place des formes d’organisation sociale capable d’élaborer des règles juste pour prendre soin des biens communs, tout en évitant qu’ils ne deviennent des sources de rivalités voire de conflits entre les individus.

Afin d’éviter l’amalgame avec la vision économique associée aux “biens”, nous abordons la notion de bien commun comme un objet d’intérêt commun, autour duquel un ensemble d’acteurs possèdent ou revendiquent différents types de droits (de propriété, d’accès, d’usage, de prélèvement, de gestion, d’exclusion) et dont il faut prendre soin.

Les biens communs peuvent être à la fois matériels (ex : un forage) et immatériels (ex : la connaissance), vieux comme le monde (ex : l’eau, une forêt) ou créés par l’Homme (ex : un service d’assainissement). Mais ces catégories ne sont pas figées. En effet, autour d’un objet de commun, les personnes projettent des valeurs et représentations individuelles et collectives, et défendent des usages économiques mais aussi non-économiques.  Il est par exemple difficile de penser séparément un objet de commun “matériel” de la dimension immatérielle qui l’accompagne, ce qui rend les catégories de biens communs poreuses[2]. Ainsi, nous pouvons considérer qu’un objet du commun existe à partir du moment où il est considéré comme tel par les personnes qui souhaitent en prendre soin et en partager l’usage.

La notion d’objet du commun permet aussi d’élargir la chose matérielle ou immatérielle qui est mise en commun, à l’intention politique qui guide cette mise en commun (comme nous parlerions d’ “l’objet d’une mobilisation” par exemple).

Enfin, il s’agit à travers la notion englobante d’objet d’éviter l’amalgame entre “bien commun” et “ressource naturelle”. Le terme de “ressource”, parce qu’il est anthropocentré, occulte des enjeux liés à la préservation des biens communs qui ne relèveraient pas de l’usage économique. Il induit que les forêts, la terre, les écosystèmes ou l’eau ont vocation à être utilisés, voire exploités par l’homme. Or, nous considérons qu’un objet de commun, lorsqu’il s’agit d’une « ressource” naturelle, doit être préservé pour “pour lui-même”, pour sa valeur intrinsèque, et pas seulement pour le maintien des anthropiques.

[2] Les travaux d’Arnaud Buchs, Catherine Baron, Géraldine Froger et Adrien Peneranda sur les « Communs (im)matériels : enjeux épistémologiques, institutionnels et politiques » démontrent que la frontière entre les biens selon la catégorisation de Samuelson est poreuse. Aussi, la dichotomie entre des communs matériels et des communs immatériels est “illusoire”. Des communs considérés comme “matériels” (autour de systèmes d’irrigation, forêts…) sont aussi porteurs d’un sens immatériel (notamment des “valeurs et idéaux qui animent l’action collective”), et les communs immatériels (communs de la connaissance ou informationnels) sont aussi des supports aux activités matérielles pouvant donner lieu à un commun (coopérative de territoire, gouvernance d’un cours d’eau…).

Référence : Arnaud Buchs, Catherine Baron, Géraldine Froger et Adrien Peneranda, « Communs (im)matériels : enjeux épistémologiques, institutionnels et politiques », Développement durable et territoires [En ligne], Vol. 10, n°1 | Avril 2019, mis en ligne le 04 avril 2019, consulté le 01 mai 2019. URL : http:// journals.openedition.org/developpementdurable/13701 ; DOI : 10.4000/developpementdurable.13701

Trois catégories d’objets de commun : ressources naturelles, services essentiels et territoires

Malgré les imperfections de la notion de “ressource naturelle” et les limites intrinsèques à tout exercice de catégorisation, nous proposons de distinguer trois grandes catégories d’objets de commun : les ressources naturelles, les services essentiels et les territoires.

 

Ressources naturelles (intègrent les milieux de vie et écosystèmes)

  • La nappe d’eau souterraine dans la zone des Niayes au Sénégal, utilisée par les villageois, les maraîchers, les éleveurs, des entreprises minières ainsi que par des sociétés privées pour approvisionner la ville de Dakar en eau potable.

Services essentiels (dépendent des ressources)

  • Le service d’approvisionnement en eau potable des zones rurales au Sénégal
  • Le service de gestion des déchets dans les villes du Congo
  • Le service d’électricité dans les hauts plateaux malgaches, dépendant de la ressource en eau à l’échelle du bassin versant

Territoires (intègrent les ressources naturelles et les services)

  • Le réseau de mares urbaines dans la ville de Luang Prabang, composé de zones humides connectées entre elles par des canaux et intégrées au système d’assainissement de la ville
  • Les forêts villageoises de bambou dans les montagnes du nord Laos, utilisées par les villageois à des fins domestiques et commerciales, dans le cadre de filières associant des petits commerçants et entrepreneurs.
  • Les marchés urbains de la ville de Port au Prince en Haïti, entretenus par des associations de marchandes en relation avec le service municipal de gestion des déchets.
  • Les milieux de vie et les ressources naturelles terrestres et aquatiques de l’île de Sainte Marie à Madagascar, utilisés par les communautés villageoises de l’île, des entreprises d’algoculture, des opérateurs de tourisme, et des investisseurs extérieurs. 

Les ressources, services et territoires sont nécessairement imbriqués et interconnectés. Ces catégories correspondent surtout à des entrées stratégiques pour aborder les enjeux liés à un ou plusieurs objets de commun sur un territoire.

Le fait de porter son regard sur l’un ou l’autre de ces objets de commun est avant tout une question d’échelle et pourrait relever d’un degré de maturité du commun[3] : “on entrerait par une ressource, autour de laquelle les utilisateurs se structurent pour petit à petit structurer un service et, quand plusieurs réseaux de communs se croisent sur un même territoire, on commence à identifier ce territoire comme un commun”. Ce passage à l’échelle permet de prendre en compte les interdépendances complexes qui se jouent entre plusieurs objets de commun. (Etienne Delay, 2022).

 

[3] Cette réflexion autour de la maturité des Communs a été développée par notre partenaire Etienne Delay du Cirad (UR Sense), et formulée dans un texte produit en 2022 mais non publié.

Les acteurs du commun

Un commun émerge lorsque se met en place d’une dynamique de gouvernance partagée pour préserver collectivement, durablement et de manière équitable un objet de commun. Il n’y a ainsi pas de commun s’il n’y a pas d’individus ou de groupes d’individus entretenant des relations entre eux et avec l’objet du commun. Ces personnes sont les acteurs du commun. Certains d’entre eux deviennent des commoners (ou parties prenantes du commun) s’ils s’engagent dans l’action collective pour préserver ensemble l’objet du commun.

La vision que nous proposons de la communauté d’acteurs – ceux qui sont susceptibles de devenir des commoners, est élargie. Elle inclut les citoyens (qui vivent le territoire et ses éléments au quotidien et ont plus ou moins accès aux services essentiels – eau, assainissement, déchets…), les usagers domestiques et économiques (agricoles, piscicoles, petite économie informelle, etc…), les opérateurs économiques (industriels, agrobusiness, secteur touristique, etc…), mais aussi les institutions étatiques (’Etat central, ministères, agences et services déconcentrés) et les collectivités locales (mairies, institutions décentralisées…)

Les acteurs peuvent être individuels, organisés collectivement ou en institution. Nous nous intéressons aux postures des personnes qui, au sein de ces catégories ou institutions, partagent l’intention du commun. La posture d’une personne commoner peut être ainsi différente de celle de son institution. Des agents publics (élus locaux, agents de service technique déconcentré, représentant ministériel…) peuvent être commoners au sein d’un appareil d’Etat dont le positionnement institutionnel n’est pas favorable au commun.

Les pouvoirs publics sont des acteurs particuliers, notamment dû à leur mandat consistant à veiller à l’intérêt général, au nom du système de démocratie représentative qu’ils incarnent. L’acteur public, du fait de sa posture particulière et des marges de manœuvres dont il dispose (réglementation, financement, cadre légal…) peut avoir un rôle clé dans la dynamique de commun : il peut favoriser son émergence, voire y prendre part… Mais aussi l’inverse.

Des interdépendances au prendre soin

Les acteurs du commun, ou commoners, ont des liens d’interdépendance forts pour l’accès, l’usage et la gestion de leur objet du commun. Ces liens induisent un sentiment de concernement envers l’avenir de l’objet du commun. Son usage par les uns a un impact sur celui des autres, peut créer des conflits d’usage ou des situations d’injustice sociale ou environnementale. La façon dont les différents acteurs font usage de l’objet du commun a un impact direct sur ce dernier, et peut le mettre en péril, au détriment de tous.

Exemples d’interdépendances entre les commoners et l’objet du commun

Dans la ville de Luang Prabang, au Laos, un réseau d’une centaine de mares urbaines tisse la ville. Ces zones humides sont connectées entre elles par des canaux et fonctionnent sur une logique de bassin-versant. Imbriquées au réseau d’assainissement de la ville, les pollutions et les eaux usées transitent de l’amont vers l’aval en passant par les mares. Les ménages vivant à proximité des mares sont donc interdépendants les uns des autres, nécessitant la mise en place un système d’assainissement adapté, d’actions de prévention/sensibilisation et de mécanismes de régulation locale voire de gestion des conflits.

C’est en raison de ces interdépendances que les acteurs qu’il devient si important pour les commoners de prendre soin de leurs liens, entre eux et avec leur objet de commun. Ainsi, une dynamique de commun vise à prendre soin des liens entre les acteurs du commun.

La notion de prendre soin se distingue de la gestion anthropique, qui induit la maîtrise d’une ressource, d’un service ou d’un territoire pour l’usage humain. Des mécanismes de gestion peuvent cependant intégrer la notion de prendre soin en se donnant pour finalité, non seulement de contrôler ou de rendre disponible une ressource pour l’Homme de manière efficace et durable, mais aussi de préserver les milieux et écosystèmes pour leur valeur intrinsèque (pour ce qu’ils sont, et pas seulement ce qu’ils nous apportent).

L’action collective et le faire commun (commoning)

Portée par les commoners au sein des différentes catégories d’acteurs, l’action collective constitue le cœur d’une dynamique de communs.

L’action collective se manifeste lorsque les acteurs décident de s’engager et consacrer du temps pour participer aux décisions concernant l’accès, l’usage et la gestion de l’objet du commun. Le déclenchement de l’action collective suppose que les acteurs soient suffisamment motivés et confiants dans leurs capacités collectives. Leur motivation est souvent provoquée par la prise de conscience d’une urgence sociale ou environnementale, un fort sentiment d’injustice sociale, ou encore un projet politique partagé.

Les acteurs qui se mobilisent inscrivent leur action dans une logique d’apprentissage collectif, pour formuler les meilleures façons d’organiser l’accès, l’usage et la gestion de l’objet du commun. La façon dont la gouvernance est organisée, la manière dont les droits, les règles et les actions sont décidées et mises en œuvre, évoluent au fil du temps, au fil des apprentissages. L’apprentissage se fait dans l’action au travers des actions décidées et conduites ensemble. On dit que l’apprentissage se fait dans le « faire commun » (ou commoning).

Exemples de motivations à l’action collective

  • Dans la zone des Niayes, au Sénégal, la baisse des nappes d’eaux souterraines et l’inégalité d’accès à l’eau (potable et agricole) ont été des facteurs déclenchants de l’action collective des villageois et des pouvoirs publics, pour mettre en place des plateformes locales de l’eau (PLE) en vue de construire une gouvernance partagée de la ressource.
  • Sur l’île de Sainte Marie, à Madagascar, la dégradation des écosystèmes et un sentiment d’injustice face au manque de concertation dans les précédents projets ont déclenché l’action collective des Saint Mariens, qui ont créé une plateforme de concertation pour le développement de l’île (PCADDISM).
  • Dans la région de Saint-Louis au Sénégal, la réforme de 2014 actant la délégation de gestion du service d’eau potable à un opérateur privé au détriment des associations d’usagers anciennement au cœur du service a entraîné une mobilisation de ces dernières, revendiquant leur rôle dans la gouvernance du service d’eau, et plaidant pour davantage de transparence et de redevabilité aux usagers de la part de l’opérateur et de l’Etat.

Une gouvernance partagée pour définir des droits règles et actions

Les instances et mécanismes de gouvernance partagée aux commoners contribuent à donner corps à l’action collective.

De la gouvernance partagée à la gouvernance partagée “en commun”

La gouvernance partagée est constituée par le cadre et les modalités de prise de décision des règles d’accès, d’usage et de gestion de l’objet du commun. La gouvernance est partagée entre les différentes catégories d’acteurs du commun, domestiques, économiques, et publics, qui participent aux prises de décision et au contrôle de leur application. Parmi eux, les premiers concernés, c’est-à-dire les citoyens et usagers, exercent un réel pouvoir de décision et de contrôle, aux côtés des opérateurs économiques et des pouvoirs publics.

Exemple de gouvernances partagées

Dans les montagnes du nord Laos, les villageois et les pouvoirs publics locaux décident ensemble de règles d’accès et d’usage des forêts villageoises de bambou (droits de collecte, zones de collecte, date de collecte, techniques de collecte) et de leur commercialisation (prix négociés, taxe prélevée par les villageois pour financer le contrôle des forêts). Dans une logique d’apprentissage, ils se réunissent chaque année dans le cadre d’ateliers pluri-acteurs organisés pour chaque filière bambou (il y a plusieurs filières bambou en fonction des espèces et des usages), pour évaluer les résultats et, le cas échéant, proposer de faire évoluer les règles.

Dans l’idéal-type d’une dynamique de commun, la gouvernance partagée fait intervenir l’ensemble des parties prenantes (tous les individus concernés, ayant un rôle à jouer pour préserver équitablement l’objet du commun) de manière équilibrée.

Elle consiste en des espaces de dialogue, de concertation, de régulation et de co-décision complémentaires, rattachés ou non aux institutions publiques. Ces espaces s’articulent entre eux par des mécanismes de représentation et de reddition des comptes (redevabilité), en particulier entre l’Etat ou les opérateurs privés d’une part et les citoyens ou usagers d’autre part. Afin de permettre un équilibre dans les échanges et la co-décision, la gouvernance partagée doit prévoir des espaces et mécanismes d’expression des contre-pouvoirs. La recherche de la décision juste (qu’elle soit au consensus, au compromis, au vote ou tout autre modalité de prise de décision) passe donc généralement par l’expression des contradictions et une forme de conflictualité dont l’enjeu est qu’elle soit constructive.

Au sein d’un dispositif de gouvernance partagée, les commoners décident des règles et des sanctions, des actions à conduire, en vue d’organiser l’usage et la gestion de l’objet du commun de façon équitable et pérenne. Ils en contrôlent leur mise en œuvre. Ils en évaluent l’effectivité, et corrigent les règles et les sanctions le cas échéant. Nous proposons alors de parler de gouvernance partagée “en commun”. C’est à dire quand le cadre et les modalités de prise de décision reposent sur des interactions sociales et des équilibres de pouvoir visant à renforcer la justice sociale et environnementale.

Ainsi, une gouvernance partagée “en communs » se caractérise par sa dimension évolutive, où les parties prenantes apprennent de leur manière de gérer, réguler et décider ensemble autour de leur objet de commun. Ils font évoluer les règles, les actions à entreprendre et les sanctions autour de l’objet du commun (par exemple : plan local de gestion de l’eau, quotas de pêche, sanction en cas de non-respect d’un itinéraire agroforestier, etc.) ou de la gouvernance elle-même (par exemple : modalités de vote, règles de prise de parole, constitution des collèges représentatifs d’acteurs, fréquence des réunions, langue parlée pendant les réunions, objectif ou champ d’action de l’instance de gouvernance, etc.)

Postures et positionnements de la puissance publique vis-à-vis d’une gouvernance “en commun”

Les pouvoirs publics (voir ci-dessous : collectivités locales, pouvoirs publics déconcentrés et ministères et pouvoirs publics centraux) ont dans ce schéma un rôle et des fonctions revisités vis-à-vis d’une gouvernance partagée “en commun”. Leur double positionnement de puissance publique (“le pouvoir”) et de représentants de l’intérêt général confère aux commoners de leurs institution une posture complexe, parfois ambivalente.

 

Les commoners incluent les citoyens, les acteurs privés, mais aussi les acteurs publics.  Les acteurs publics ont donc une double nature : interne au commun autour de l’objet d’intérêt commun, et externe au commun avec une perspective plus large d’intérêt général.

 

Que l’acteur public soit interne ou externe au commun, sa posture individuelle est à considérer séparément du positionnement de son institution – le commoner étant en quelque sorte à l’interstice entre la gouvernance partagée et son institution. Ainsi, la double nature de l’acteur public peut prendre des formes diverses : participation individuelle de « personnes » de la fonction publique au sein des instances de gouvernance, ou participation institutionnelle des pouvoirs publics dans des instances de gouvernance partagée (ex : des SCIC en France…).

Les relations entre pouvoirs publics et communs invitent ainsi à approfondir l’articulation entre intérêt collectif / commun et intérêt général « dans les deux sens », c’est-à-dire, réfléchir non seulement à la façon dont les pouvoirs publics contribuent au commun, mais aussi aux façons dont les communs contribuent à la politique publique d’intérêt général (ex : co-production ou co-construction de politiques publiques).

La 27e Région, à travers son projet Enacting the commons(2019) a conduit un travail de caractérisation des postures des acteurs publics vis-à-vis des communs, que nous proposons de reprendre pour porter un regard sur la place des pouvoirs publics à côté ou au sein des dynamiques de communs accompagnées par le Gret.

Les postures de l’acteur public face aux communs, par le 27e Région

https://enactingthecommons.la27eregion.fr/2019/12/23/895/

 

  • L’acteur public partenaire de communs

L’acteur public s’implique, de manière horizontale, aux côtés d’autres acteurs pour co-gérer un commun.

Exemple : Les élus membres (à titre d’individu) de la PCADDISM à Sainte-Marie.

 

  • L’acteur public producteur / contributeur aux communs

L’acteur public est à l’initiative de la mise en commun de ce qu’il produit ou possède (espaces, données, etc.)

 

Exemple : pas de “success story” connue dans le cadre du programme du Gret. Un exemple de tentative : le projet N’toto na Mavimpi visait à accompagner la construction d’une gouvernance partagée autour du service de gestion des déchets municipal à Dolisie. Les services techniques étaient favorables, mais l’initiative n’était pas à l’impulsion de la mairie.

 

  • L’acteur public régulateur

L’acteur public facilite l’émergence de communs en mettant en place des formes de régulation (lois, règles, etc.) qui les encouragent, sur le territoire ou au sein de l’administration.

 

Exemple : au Laos, la loi provinciale pour la préservation et la gestion durable des forêts villageoises de bambou dans la province de Huaphan. Cette initiative de régulation a été poussée par l’association BNDA, facilitatrice du commun de bambou villageois avec un appui de longue durée par le Gret.

 

  • L’acteur public aidant les communs

L’acteur public met à disposition des outils et/ou des ressources (argent, foncier, etc) pour aider les commoners. Il soutient les initiatives citoyennes, sans forcément utiliser la notion de communs comme critère d’aide.

 

Exemple : Au Sénégal, dans la zone des Niayes, le maire de Mont-Rolland participe activement aux réflexions au sein de la Plateforme locale de l’eau et apporte un soutien financier pour la mise en œuvre de son plan local de GIRE.

 

  • L’acteur public entremetteur

L’acteur public facilite les communs en assumant un rôle d’intermédiation entre les parties prenantes de son territoire: il identifie et connecte les ressources et les acteurs, construit des solutions pour permettre la rencontre entre les propositions des citoyens et l’administration, invente de nouvelles interfaces avec les habitants. Il adopte ainsi de nouveaux métiers, de nouvelles postures (plus d’écoute, moins de formalisme, etc.) mais aussi de nouveaux cadres juridiques et techniques.

 

Exemple : au Sénégal, un agent représentant de l’Office des Forages Ruraux (OFOR) contribue à faire connaître les Comités locaux de suivi de Délégation de service public, des dispositifs visant à renforcer la place et le rôle des usagers dans la gouvernance de l’eau potable avec une approche par les communs, afin de développer ce type d’initiative dans les autres périmètres de DSP du pays.

 

  • L’acteur public instituant / performatif

L’acteur public se saisit ainsi des communs comme d’un nouveau récit pour le territoire, promouvant les valeurs de partage, d’horizontalité et d’auto-gestion.

 

Exemple : Le maire de Mont-Rolland dans la zone des Niayes au Sénégal.  

 

  • L’acteur public indifférent

L’acteur public ne s’implique pas dans la gestion des communs, il ne soutient pas les initiatives citoyennes qui émergent mais ne s’oppose pas non plus à leur création. Les communs existent donc en parallèle de l’action publique, ne sont pas soutenus mais tolérés.

Exemple : A Madagascar, dans la région Haute-Matsiatra, des plateformes d’électricité multi-service (solaires et hydrauliques) gérées de manière communautaire ont été mises en place par les habitants de trois communes rurales avec l’appui du Gret. Elles visent à approvisionner en électricité les populations éloignées du réseau principal. Leur mise en place a été rendue possible par la négociation par le Gret d’une sorte de droit à l’expérimentation auprès des pouvoirs publics. Il était prévu que chacune des communes signe une convention avec le gestionnaire local nommé par les habitants et le concessionnaire du réseau principal afin d’institutionnaliser la gouvernance partagée. Mais l’engagement des acteurs publics et du concessionnaire restent difficiles dans la pratique, et ces conventions ne sont pas encore formalisées.

  • L’acteur public opposant

L’acteur public se pose en obstacle aux initiatives de communs et aux commoners, en faisant primer par exemple les notions de propriété privée, de sécurité, de responsabilité de la puissance publique, etc. Co-administrer certains pans de l’action publique bouscule en effet fondamentalement certains piliers de l’acteur public : sa responsabilité face aux risques, le statut de ses contributeurs, la perméabilité avec le secteur marchand, etc…

Exemple : Au Laos, le Gret n’emploie pas, auprès des pouvoirs publics concernés par l’objet du commun, le mot “commun”. En effet, cela empêcherait tout engagement des acteurs publics en faveur de la dynamique de communs – ceux-ci obéissant à la culture d’un pouvoir politique fort et centralisé, régissant l’ensemble de la vie sociale, économique, culturelle et associative.

La gouvernance partagée : une construction dans la pratique

Ces mécanismes de gouvernance partagée en commun ne s’expriment par que dans les instances de gouvernance formelles. Tous les mécanismes d’expression de pouvoir ou de contre-pouvoir exerçant une influence sur les prises de décision peuvent être considérés comme faisant partie de la gouvernance au sens large. Cela rejoint notamment la notion de gouvernance par le faire (et pas seulement par la voix), permettant de dépasser certains rapports de pouvoir instaurés et institutionnalisés.[4]

[4] Voir l’intervention d’Anne-Sophie Olmos à Grenoble

Pour passer de la gouvernance par le faire aux instances formelles, les espaces de dialogue et d’apprentissage “ad hoc” peuvent jouer un rôle clé. Ils favorisent l’expérimentation et l’apprentissage de démocratie, de la délibération à la co-décision en permettant aux acteurs de tester et renforcer leur capacité d’exercer leur pouvoir de décision et de contrôle. Ainsi, les instances ad-hoc peuvent préfigurer des dispositifs institutionnels de gouvernance partagées.

Exemple des instances ad-hoc de gouvernance partagée du lac togo

Des instances de gouvernance partagée ad-hoc ont été créées à l’échelle de trois communes du Lac Togo par les représentants des usagers de l’eau et des collectivités, avec l’appui du Gret. Les acteurs y ont préparé la mise en place des OLGE (organes locaux de gestion de l’eau), des sortes de Commissions locales de l’eau prévues par le Code de l’eau du Togo pour gérer durablement le bassin versant. Ces espaces leur ont permis de s’exprimer dans un cadre informel, et de décider des modalités de fonctionnement des futurs OLGE.

Exemple de la future gouvernance de l’aire protégée de Sainte-Marie

Sur l’île de Sainte Marie, la plateforme PCADDISM a facilité l’élaboration par les villageois et la reconnaissance par les pouvoirs publics d’un ensemble de règles coutumières (dina-be) de « vivre ensemble », règles qui prennent soin des liens entre les habitants de l’île, les ancêtres et les milieux de vie. Une structure de gouvernance ad hoc est en cours de création pour faire respecter ces règles par toutes et tous. Parallèlement, une aire protégée couvrant une grande partie de l’île est en cours de création. Son instance de gouvernance, qui laissera une large place à la PCADDISM, définira et fera appliquer un ensemble de règles complémentaires visant à préserver les écosystèmes terrestres et marins.

Un suivi réflexif pour alimenter l’apprentissage collectif

 

Le suivi réflexif est un élément essentiel d’une dynamique de commun. Par ce mécanisme, les acteurs se donnent les moyens de suivre et évaluer l’efficacité de leurs décisions et de leur mise en œuvre. Il permet d’objectiver et alimenter les discussions entre les acteurs dans le cadre de démarches d’apprentissage. Les résultats de ces apprentissages alimentent les instances de gouvernance partagée, qui pourront décider d’amender ou créer telle ou telle règle ou action. Le mécanisme de suivi est conçu par les acteurs, mis en œuvre par les acteurs, et les résultats servent directement les acteurs du commun.

La dynamique de suivi réflexif peut être schématisée ainsi :

 

Pour les commoners, le suivi réflexif permet de :

  • Suivre collectivement l’évolution d’une ressource, service ou territoire
  • Discuter collectivement des informations collectées sur la base d’indicateurs, scientifiques ou non et de références partagées.
  • Apprécier l’effectivité de la gouvernance et des actions (règles par exemple) sur la ressource ou service, et l’équité d’accès et d’usage
  • En fonction, ajuster les actions et règles dans le temps
  • Le suivi réflexif permet donc de piloter le commun, et/ou d’orienter une prise de décision concertée et reposant sur des informations ou savoirs situés et partagés localement.

Exemple du suivi des forêts villageoises de bambou au Laos

Dans les montagnes du nord Laos, l’OSC locale BNDA (Bamboo & NTFP Development Association) collecte et analyse régulièrement des informations sur l’exploitation des forêts villageoises de bambou, l’état des forêts, les volumes commercialisés, les prix pratiques, les difficultés rencontrées. Ces informations analysées sont mises en discussion lors des ateliers multi-acteurs qui réunissent chaque année les représentants villageois, les traders et les pouvoirs publics. Ce dispositif a notamment permis de définir des procédures simplifiées d’élaboration des plans de gestion forestière, ou encore d’autoriser la collecte par les villageois d’une contribution (%) auprès des traders sur les volumes commercialisés, pour financer les instances de gouvernance des forêt villageoises. La viabilité financière de ce dispositif reste cependant à construire.

Exemple du suivi de l’eau des nappes par les plateformes locales de l’eau au Sénégal

Dans la zone des Niayes, au Sénégal, les plateformes locales de l’eau – PLE – se dotent d’équipements pour réaliser eux-mêmes un suivi régulier de la qualité et de la quantité d’eau du niveau des nappes, en complément du suivi réalisé par les pouvoirs publics.  La mise en discussion des données collectées doit permettre d’orienter ou réorienter des propositions d’action ou règles à mettre en place.

Au-delà de ces exemples, où le suivi réflexif porte sur l’objet du commun, il est possible de distinguer trois types de règles ou d’actions susceptibles d’être suivies, à trois niveaux différents :

TYPE DE REGLE

NIVEAU

Règles de gouvernance Règles ou actions visant la préservation et l’équité d’accès à la ressource
Extérieur au commun mais influant sur le commun Gouvernance extérieure au commun Règles extérieures au commun (ex : loi nationale)
Commun ou commun en construction Gouvernance partagée du commun, ou du commun en construction Règles mises en œuvre collectivement par l’ensemble des acteurs du commun (ex : protocole d’accord du périmètre APHK)
Le collectif citoyen (ex : Fasurep…) Gouvernance ou fonctionnement de l’une des parties prenantes du commun (ex : la Fasurep) Règles ou actions mises en œuvre par l’une des parties prenantes au commun (ex : plan d’action de la Fasurep, ou du BNDA)

De la portée transformative des communs, à l’approche par les communs

De manière résumée, nous proposons de définir une dynamique de commun comme une forme d’organisation sociale, qui se met en place lorsqu’un ensemble d’acteurs, interdépendants et directement concernés par un objet de commun, décident de s’engager dans une action collective pour construire ensemble une gouvernance partagée, au sein de laquelle ils définissent et mettent en œuvre des actions et des règles d’accès et d’usage jugées équitables tout en prenant soin de la qualité des liens entre les acteurs, et entre les acteurs et le milieu de vie. Cette dynamique de commun naît souvent d’un sentiment collectif de menace, d’injustice sociale et environnementale, ou d’un désir de faire ensemble. Elle s’inscrit dans une démarche d’apprentissage collectif continu, qui se traduit par le « faire commun » dans l’action, et est alimenté par divers dispositifs de suivi réflexif propres aux acteurs du commun.

A travers ces différentes dimensions, les communs émergent comme un référentiel d’organisation sociale inspirant et puissant pour tenter de redonner du pouvoir aux citoyens et usagers dans les prises de décision sur les biens communs qui les concernent directement, dans un monde où ils sont de plus en plus éloignés des instances de décision.

Ce faisant, de telles formes d’organisation sociale permettent potentiellement de mieux mobiliser l’intelligence et les savoirs collectifs pour faire les choix de société. Elles permettent aussi de réinventer des , tout en redonnant confiance aux citoyens dans leurs institutions aux rôles revisités. Sous des formes diverses à inventer dans chaque situation d’action, ces dynamiques de commun apparaissent comme porteuses de transformations sociales propices à davantage de justice sociale et écologique, à des mécanismes de résolution des conflits plus apaisés, à de meilleures capacités d’adaptation aux évolutions à venir.

L’approche par les communs construit sur cette hypothèse. Elle consiste à s’appuyer sur la carte mentale des Communs pour déchiffrer des situations complexes (interdépendances, conflits d’usages, solidarités, etc.) et s’inspirer de leur fonctionnement pour accompagner, dans de telles situations, des mécanismes de coopération, de solidarité et de gouvernance partagée capables de répondre aux injustices sociales et environnementales vécues par les populations.

L’approche par les communs : une proposition pour agir

Ce chapitre partage notre définition de l’approche par les communs, ce que nous portons à travers elle et les pas de côté qu’elle invite à faire lorsqu’on met en œuvre d’un projet de développement.

Avant tout une manière de penser et d’agir

Nous formulons l’approche par les communs comme la façon dont les équipes projet, s’y prennent, dans la conception et la mise en œuvre des projets d’aide au développement, pour favoriser des dynamiques de communs. En adoptant une approche par les communs, le Gret propose aux individus et groupes d‘individus qui le souhaitent de les accompagner dans leurs dynamiques de commun et leur construction de gouvernance partagée, à inventer au cas par cas dans une démarche d’apprentissage collectif.

L’approche par les communs repose sur trois piliers :

  • L’adoption d’une carte mentale, ou grille de lecture, fondée sur la théorie et les pratiques de communs. L’approche par les communs suppose de porter, dans sa lecture des situations d’action et dans ses stratégies d’accompagnement, une attention particulière à ce qui nourrit une dynamique de commun – l’action et l’apprentissage collectifs, le prendre soin, la complexité des interactions entres les personnes et avec les milieux de vie, la place et le rôle de pouvoirs publics.
  • L’affirmation d’une intention politique : celle de (re) donner du pouvoir aux usagers et citoyens sur les décisions qui les concernent directement, dans le cadre de gouvernances partagées, aux côtés des pouvoirs publics, en reconnaissant en même temps la capacité des individus – usagers, pouvoirs publics, acteurs privés – à coopérer au service de l’intérêt général. Elle est une affirmation ontologique au sens où eIle porte la conviction que les communs peuvent contribuer à une réflexion de fond sur l’avenir de nos sociétés, de nos modalités de gouvernance et de coopérations, sur les priorités politiques et la manière de les mettre en œuvre.

 

La nécessaire affirmation de cette intention politique induit que l’adoption d’une approche par les communs n’a de sens que si elle est souhaitée et portée par celles et ceux qui la pratiquent. Elle n’a à ce titre pas vocation à devenir une approche imposée aux professionnels de l’aide au développement, et encore moins aux personnes et institutions appuyées dans le cadre de des actions de solidarité internationale. L’approche par les communs est une proposition.

 

  • Lorsqu’ils accompagnent des acteurs dans une dynamique de communs, les professionnels du Gret basés sur les territoires d’intervention ont aussi recours à des méthodes de facilitation ou d’accompagnement des dynamiques collectives relevant notamment de l’éducation populaire. L’approche par les communs se matérialise alors dans la mobilisation, l’adaptation et l’invention d’outils et méthodes notamment pour créer les conditions de l’action collective et la construction de la gouvernance et des règles. Ces outils et méthodes ne sont pas réplicables à l’identique et sont spécifiques à chaque situation d’action. Aussi, ils ne sont pas neutres et ne peuvent suffire à engager un processus de transformation sociale : leur pouvoir transformatif est indissociable de la posture et des dispositions des différentes personnes impliquées.

 

En affirmant une intention politique de justice sociale et environnementale et de prendre soin, en mobilisant une grille de lecture fondée sur les communs et en expérimentant des actions d’appui aux commoners, une approche par les communs peut alors prendre corps dans le cadre d’un projet de développement. Elle consistera pour l’opérateur à déployer tout ce qui est en ses moyens pour agir sur les leviers d’un commun… en particulier pour :

  • révéler les interdépendances entre acteurs et les défis communs qu’ils partagent;
  • motiver l’action collective des acteurs concernés à s’engager dans la recherche de solutions, ensemble;
  • favoriser une représentation équitable des acteurs dans le dispositif de gouvernance partagée;
  • inciter les acteurs à inscrire leur action dans une logique d’apprentissage collectif notamment fondée sur un système de suivi réflexif interne.

L’approche par les communs est une proposition de focale (de porter son regard sur les enjeux de gouvernance partagée), une posture de facilitation engagée et des choix de modalités d’intervention.

N’étant pas une recette à appliquer, une méthodologie réplicable à l’identique ou une boite à outils, nous proposons d’abord de retenir quelques éléments de réflexions caractéristiques de l’approche par les communs pour aider les praticiennes et praticiens à s’en saisir. Ces éléments sont développés de manière plus opérationnelle dans le chapitre suivant.

 

En plus de l’expertise technique et d’ingénierie de projet

L’approche par les communs complète l’expertise technique, thématique, et l’ingénierie de projet en portant son regard sur la gouvernance, et son intention sur la justice sociale et environnementale.

Cette expertise additionnelle consiste à maîtriser, en plus de l’expertise liée à l’objet de commun (par exemple : l’ingénierie sur l’eau et l’assainissement, l’agroforesterie, la gestion des déchets, etc.), des savoirs, savoirs faire et savoir être liés à l’accompagnement de gouvernances partagées autour de cet objet de commun. Les compétences que l’approche par les communs nécessite de mobiliser peuvent porter sur :

  • Le contexte sociopolitique et réglementaire dans lequel s’inscrit la dynamique de communs ainsi que les jeux d’acteurs et de pouvoirs en place.
  • L’ingénierie sociale, comme par exemple l’animation de groupe, les pratiques d’éducation populaire, la médiation entre acteurs aux intérêts différents, le dialogue institutionnel ou le plaidoyer.
  • L’ingénierie de projet, pour utiliser l’outil projet au mieux au service de l’intention politique et de la dynamique de commun.

L’approche par les communs requiert de faire plusieurs pas de côtés, vis-à-vis :

  • De l’outil projet, son pas de temps et sa logique linéaire qui diffère de celle d’une dynamique de communs
  • De la posture de l’opérateur de développement qui intervient souvent avec une planification déjà conçue des actions à mettre en œuvre, et des solutions “clé en main”, pour plutôt se positionner en facilitateur qui peut proposer et mettre en discussion des solutions.
  • Des représentations et de la rationalité sous-jacentes à l’expertise technique des opérateurs de développement, pour prendre en compte les expertises plurielles des acteurs du commun, s’appuyer sur des représentations et savoirs non-occidentaux et s’intéresser au droit des usages pour co-construire des institutions et des règles permettant de répondre aux enjeux des commoners.

Un positionnement en projet d’appui au projet des commoners

L’adoption d’une approche par les communs requiert de penser l’accompagnement des dynamiques de commun sur un temps long. La mobilisation des moyens humains et financiers se faisant au travers la modalité de projets de développement, l’approche par les communs requiert un savoir-faire en ingénierie de projet pour être capable de maitriser l’outil projet et le mettre au service des dynamiques de commun.

Un des enjeux de l’approche par les communs est de bien différencier ce qui relève des projets d’aide au développement, et ce qui relève de la dynamique de commun, tous deux répondant à des logiques et des temporalités bien distinctes.

L’orientation et les modalités de mise en œuvre des projets d’aide au développement sont financés et encadrés par les décideurs de l’aide internationale (Ministères, banques de développement nationales et internationales, etc.). Lorsqu’ils prennent la forme de subventions à destination de la société civile, ils sont mis en œuvre par des ONG comme le Gret, dont le choix de la stratégie d’intervention dépendra aussi de l’engagement des partenaires du projet et des territoires d’intervention.

Ce qui devient alors “le projet du Gret” va s’inscrire comme tout projet d’aide au développement dans un cycle projet : un ensemble de procédures que nous devons suivre, depuis l’idée de projet jusqu’à l’évaluation et la capitalisation du projet. Le cycle projet et les outils liés (ex : le cadre logique, les indicateurs, le suivi évaluation) sont construits dans une logique de planification à priori linéaire du changement social, de performance, et de redevabilité vers les financeurs. Le temps de mise en œuvre du projet est généralement court (le plus souvent d’un à trois ans) et s’accorde mal avec le temps nécessaire à l’approche par les communs. Cela exige à l’opérateur de formuler plusieurs projets successifs pour pouvoir accompagner une dynamique de communs.

Une dynamique de commun est décidée et mise en œuvre par les parties prenantes du bien commun, sous l’impulsion des commoners. Elles sont des processus de changements social et institutionnel, basés sur la confiance et le faire commun par les acteurs dans un objectif de justice sociale et écologique. Plusieurs dynamiques de communs peuvent se côtoyer ou se nourrir. Ces processus sont itératifs, non linéaires, non prévisibles, et s’inscrivent dans le temps long (> 10 ans).

Ainsi, l’approche par les communs, par l’intention qu’elle porte (les communs), la posture qu’elle induit (celle de facilitateur engagé), et les moyens qu’elle implique (temps long, attention portée sur le processus, l’expérimentation et l’apprentissage itératif), questionne de fait les outils de gestion mobilisés dans le cadre de l’aide publique au développement. Au-delà même du questionnement, elle redonne du sens à l’action en proposant de mettre au service le projet de développement au service d’une intention politique plus large.

Tant les ONG que les collectivités locales françaises, sénégalaises ou d’autres pays se saisissent de l’outil projet et des outils de gestion, en s’intéressant aux opportunités qu’ils permettent. Ils ouvrent en effet bien des marges de manœuvre.

Mais ces outils placent aussi ceux qui conçoivent le projet dans une posture d’extériorité, voire de domination vis-à-vis de la dynamique sociale accompagnée. Pour tenter de lever l’ambiguïté sur la tension entre exogénéité et rigidité du cadre projet d’une part, et trajectoire endogène et souple du commun d’autre part, nous proposons de distinguer clairement, dans l’approche par les communs, ce qui relève du projet d’appui (défini et mis en œuvre par le Gret et les partenaires dans le cadre contraint de l’aide au développement) et ce qui relève de la dynamique de communs. A travers cette dernière, les commoners peuvent porter un projet de territoire appuyé de manière plus ou moins directe et entière par le projet d’appui du Gret.

Nous pouvons aussi formuler un troisième niveau, celui du projet politique sous-jacent à la fois au commun (celui des commoners) et à l’approche par les communs (celle de l’accompagnateur) dont le défi est qu’il soit co-construit, partagé, entre les professionnels du Gret sur le terrain et les acteurs du commun.

Les Grétiens sont-ils aussi des commoners ?

L’adoption d’une approche par les communs dans le cadre des projets requiert que les membres de l’équipe Gret partagent l’intention politique, et acquièrent des références et de l’expérience. Elle suppose une cohérence de discours entre les équipes internes (entre Direction, Représentations, chefs de projet, animateurs… mais aussi chargés de gestion et de comptabilité que l’approche par les communs poussera aussi au pas de côté dans l’utilisation des outils) et vis-à-vis des interlocuteurs institutionnels en France et dans au sein des pays d’intervention.

Les personnes en charge des choix de stratégie et pilotage du projet doivent être disposées à conjuguer les contraintes contractuelles (échéances, rendus…), les référentiels thématiques, et l’accompagnement des dynamiques de communs (responsables de projet, chefs de projet…). Les personnes les plus en contact avec les acteurs du commun doivent acquérir un savoir-faire de facilitateur (chefs de projet, animateurs…).

Dans le schéma ci-dessus, les personnes de l’équipe projet du Gret sont représentées comme des commoners du Gret. Ceci pour signifier qu’elles partagent la philosophie des dynamiques de communs, et peuvent ainsi échanger de pair à pair avec les commoners. Les équipes peuvent aussi être motrices dans l’adoption par les acteurs du commun de démarches qui contribuent au commun sans nécessairement relever explicitement de l’approche par les communs.

 

La manière dont un opérateur de développement pourra effectivement se saisir de l’outil projet pour accompagner une dynamique de communs sur le temps long pose très clairement la question de la posture du facilitateur (ou accompagnateur).

Une posture de facilitation engagée

Plusieurs éléments qui composent l’approche par les communs font partie de la culture Gret depuis de nombreuses années : la démarche d’ingénierie sociale et de mobilisation communautaire, l’attention portée à la mise en lien de la société civile et des pouvoirs publics, l’intérêt pour les enjeux de gouvernance et de participation citoyenne, etc.

Lorsque nous faisons le choix d’adopter une approche par les communs, nous exprimons une ambition politique ciblée sur une gouvernance partagée laissant davantage de place aux usagers et citoyens. Si cette ambition s’inscrit dans la culture Gret, elle s’en distingue aussi, en induisant un bousculement de fond à trois niveaux :

  • Elle bouscule les schémas de gouvernance et des rapports de pouvoir en place dans les territoires d’intervention
  • Elle incite à dépasser les travers de la participation en déconstruisant les démarches participatives classiques, mises en place dans de nombreux projets, et qui tendent à édicter au préalable les règles, les rôles, et les sujets de la participation. Elle induit une exigence de repérage des parties prenantes dans toute leur diversité, dans le travail sur les intérêts respectifs portés par chacun de ces acteurs, dans le passage d’une logique de participation à une logique d’implication collective autour de la gestion d’un commun, etc. Nous y reviendrons plus en détail dans le chapitre suivant.
  • Elle bouscule la façon de considérer et d’utiliser les projets d’aide au développement, en s’affranchissant – pour utiliser au mieux – des cadres logiques bien ficelés et rigides (nous l’avons vu précédemment).

La facilitation engagée, ou embarquée, revient à un changement de posture du Gret en tant qu’organisation, mais aussi des agents du Gret en tant qu’individus. En effet, classiquement, l’“opérateur de projet” suppose que les orientations du projet données par le cadre logique représentent déjà les intérêts des acteurs bénéficiaires grâce au diagnostic réalisé en amont (au Gret, ces diagnostics sont généralement réalisés de manière participative), et qu’il s’agit donc de le mettre en œuvre. Les acteurs bénéficiaires participent aux activités du projet du Gret qui en retour impacte leurs conditions de vie. 

Avec une approche par les communs, nous parlons de facilitation engagée (voir glossaire) pour insister sur le rôle central du facilitateur – sorte d’intermédiaire entre le projet d’appui et le commun – et sur sa difficile (voire non souhaitable) neutralité. La proposition de modèle de société qui est portée par l’approche par les communs peut induire des choix dans la stratégie d’accompagnement qui favoriseront certains acteurs plutôt que d’autres en travaillant au rééquilibrage des pouvoirs et l’appui à la construction d’une gouvernance partagée (travailler les désaccords peut se traduire par la contrainte de certains au bénéfice du commun) .

L’approche par les communs place ainsi les professionnels du développement dans une posture d’accompagnateurs et animateurs d’une dynamique sociale, ce qui met en lumière certains impensés liés à leur rôle : quelle place au sein de la dynamique des communs? Comment cette place est-elle perçue par les autres acteurs?  Un défi principal est de parvenir d’une part à prendre moins de place, pour laisser les acteurs locaux s’emparer progressivement de l’animation de la dynamique ; et d’autre part à être explicite sur ses intentions, ne pas « avancer masqué », et assumer de ne pas être neutre dans ses objectifs.

Point d’attention sur le rôle de l’Etat et des pouvoirs publics 

L’approche par les communs suppose d’intégrer au centre des préoccupations l’enjeu de la place des pouvoirs publics et des acteurs privés aux côtés des citoyens et usagers, et les leviers de leur mobilisation.

Inciter les pouvoirs publics à ouvrir des espaces de dialogue avec les populations

L’approche par les communs implique sortir de la dichotomie entre le top down de la gestion publique ou privée unilatérale, le bottom up souvent uniquement centrée sur la participation communautaire. Elle propose plutôt de créer un espace spécifique de concertation et d’action partagée, intégrant les pouvoirs publics et les acteurs privés.

La création de ces espaces peut émaner d’une demande de l’Etat. C’est le cas du Sénégal et du Togo où l’Etat a demandé au Gret de tester l’opérationnalisation d’une politique nationale de GIRE via la mise en place respectivement de Comités communaux de l’eau et d’organes locaux de gestion de l’eau à l’échelle des communes. Dans ce cas, l’approche par les communs est une proposition pour accompagner la création de ces espaces en impliquant dès le départ les populations (usagers domestiques, économiques, habitants…) les collectivités et autres acteurs liés à l’eau dans la réflexion autour du rôle et du fonctionnement de la future gouvernance partagée. L’enjeu pour le facilitateur est de négocier avec l’Etat sur la manière de mettre en place ces espaces de concertation, et la place qu’y joueront les usagers et citoyens.

Il arrive aussi que le Gret propose aux pouvoirs publics la mise en place de comités multi-acteurs comme levier permettant d’atteindre les objectifs sur lesquels ils se sont mis d’accord. Par exemple, afin de préserver les mares urbaines de Luang Prabang au Laos, le Gret a proposé à la municipalité et à la Maison du patrimoine de mettre en place des comités d’usagers des mares urbaines représentant les habitants, les propriétaires de mares et l’autorité locale. Toujours au Laos, c’est également le cas de la proposition de création de Watershed Learning Group (ou Groupes d’apprentissage du bassin-versant) pour favoriser un diagnostic partagé et une planification des actions à mettre en place pour préserver trois bassins-versants. Ces Watershed learning group réunissent les populations des villages situés dans le bassin-versant concerné (usagers domestiques de l’eau, paysans, représentants des minorités ethniques…) aux côtés des autorités du distict, de la province et des représentants du ministère. Dans ces deux cas au Laos, le mise en place de ces espaces, leur rôle et leurs modalités de fonctionnement font l’objet de négociations fines avec les pouvoirs publics. Il s’agit notamment de le rassurer l’Etat sur la non remise en cause de son pouvoir central.

Dans d’autres cas, il existe déjà des collectifs de citoyens ou d’usagers qui cherchent à peser sur la gouvernance au niveau institutionnel. C’est le cas de la PCADDISM qui mobilise les habitants et interpelle les pouvoirs publics et les opérateurs privés pour préserver la biodiversité et les traditions à Sainte-Marie, ou des Associations d’usagers d’eau potable au Sénégal qui interpelle l’Etat et l’exploitant privé pour améliorer la transparence et la qualité du service d’eau potable. Dans ces cas de figure, accompagner la mise en place d’une gouvernance partagée consiste d’une part à renforcer les capacités d’action et d’élaboration de propositions des collectifs citoyens, et de favoriser la reconnaissance par les pouvoirs publics de leur droit et capacité à contribuer à l’élaboration, la mise en œuvre et le contrôle des politiques publiques.

Dans ces trois cas de figure, qui se déclinent autant qu’il existe de situations d’action, un des défis pour les accompagnateurs de la dynamique de commun est de décrypter les intérêts et les contraintes de ces acteurs, mais aussi de trouver les moyens de les mobiliser dans la durée en adaptant son discours. L’approche par les communs invite ainsi à être attentif aux évolutions de postures des parties prenantes, à la fois dans leurs rôles de représentants d’un pouvoir ou d’un contre-pouvoir portant un intérêt spécifique dans la gouvernance partagée en construction ; mais aussi parfois dans leur posture de personnes-frontières entre la dynamique de communs dont elle fait partie et leur propre institution ou collectif.

Renouveler les rôles et responsabilités des collectifs citoyens et de la puissance publique

L’approche par les communs, en proposant d’accompagner de nouvelles relations entre populations, acteurs publics et privés au service d’une intention de justice sociale et environnementale partagée, peut intéresser l’Etat en ce qu’elle lui ouvre l’opportunité de jouer son rôle de garant de l’intérêt général.

L’Etat ou l’autorité locale peut en effet se positionner en partie prenante, en promoteur ou en accompagnateur de la dynamique de communs en reconnaissant son rôle dans la mise en œuvre des politiques publiques à l’échelle locale. C’est le cas de la plateforme de l’eau de Mont-Rolland au Sénégal, dans laquelle le maire est un soutien fort. Ce dernier considère que la plateforme, du fait de l’expertise acquise par ses membres et de son ancrage territorial, l’aide notamment à répondre aux problèmes des habitants en matière d’eau potable auquel il ne sait pas toujours répondre du fait de l’absence de transfert de compétences et de moyens par l’Etat central.

Adopter une approche par les communs peut ainsi favoriser l’articulation entre politiques publiques nationales et dynamiques territorialisées. Elle peut aussi favoriser la co-production des politiques publiques dans le cas où les espaces de dialogue multi-acteurs parviennent à l’élaboration d’actions, de règles ou de planifications locales qui sont ensuite reconnus ou intégrées par les dispositifs institutionnels. C’est le cas par exemple des règles de préservation et d’utilisation durable du bambou dans la province de Huaphan qui ont été élaborées par les villageois et les représentants des pouvoirs publics et ont nourri l’élaboration de trois stratégies provinciales successives sur la gestion durable du bambou depuis 2011[5].

[5] Dates des trois stratégies provinciales pour la gestion durable du bambou dans la province de Huaphan : 2011-2015 ; 2016-2020 et 2021-2025.