Anti-manuel du faire commun

Ce chapitre propose trois manières de mettre en œuvre une approche par les communs, par exemple dans le cadre d’un projet de développement.

La première propose une stratégie d’appui à une dynamique de communs à partir de dix leviers d’accompagnement, de l’action collective à l’ajustement de la gouvernance et des règles. La deuxième consiste à porter son regard sur des pratiques et postures d’intervention que nous avons identifiées comme récurrentes lorsque les équipes du Gret testent une approche par les communs, et qui semblent favoriser le faire commun. Enfin, une troisième manière de mettre en œuvre une approche par les communs est de partir des opportunités et des contraintes dont nous disposons au moment de la conception d’un projet : quelles conditions requises et quelles lignes rouges pour concevoir un projet qui permette effectivement de renforcer une dynamique de commun ?

Dix leviers opérationnels

La carte mentale des communs permet d’identifier dix leviers d’action pour réfléchir sa stratégie d’accompagnement. Ces leviers reflètent souvent des angles morts des interventions traditionnelles de l’aide au développement et se déclinent de façon spécifique dans chacune des situations d’actions et des projets d’appui.

Pour chacun des dix leviers d’action, des orientations d’ordre général sont proposées. Ces orientations ne prétendent donc pas être exhaustives. Elles seront illustrées dans la partie suivante et pourront être complétées au fur et à mesure des expériences.

Dans la formulation des leviers d’action, nous avons identifié une logique d’étapes, de la formulation de l’intention politique à l’appui aux conditions de durabilité d’un commun. Pour autant, chacune de ces étapes peut être pensée indépendamment et l’ordre des numéros peut être très différent d’une situation à l’autre. La numérotation est seulement un point de repère pour guider une application progressive des dix leviers dans laquelle l’approche par les communs peut prendre une cohérence.

(1)   Expliciter son positionnement et son intention

En tant qu’acteur intervenant dans le cadre de l’aide au développement, généralement à la demande des populations ou des pouvoirs publics locaux nous ne sommes pas neutres et ne sommes pas perçus comme neutres.

La création de liens de confiance entre l’ONG (les facilitateur-animateurs du moins) et les actuels ou futurs acteurs du commun (populations, associations locales, pouvoirs publics…) est indispensable pour s’engager dans l’expérimentation de reconfigurations institutionnelles.

Cette confiance nécessite une transparence dans le positionnement et l’intention portée par l’équipe du projet, en particulier du fait du rôle de facilitateur, amené à travailler avec des catégories de parties prenantes dont les intérêts, les marges de manœuvres et les codes sociaux sont différents. Du fait de la posture spécifique du facilitateur, l’approche par les communs requiert de :

  • Formuler son intention politique : à quel changement social souhaite-t-on contribuer ?
  • Repérer et formuler de façon explicite les injustices sociales et environnementales vécues par les acteurs, ainsi que les urgences sociales et environnementales, afin d’étayer la formulation de son positionnement
  • Caractériser et prendre du recul sur sa conception de justice sociale et environnementale pour l’affirmer sans l’imposer, tout en reconnaissant et respectant le fait qu’elle est un construit social situé
  • Porter un regard distancié sur son positionnement au sein du jeu d’acteurs, en réfléchissant notamment à la façon dont on est perçu par les différentes catégories d’acteurs, afin de se mettre en capacité d’exercer un rôle de facilitateur engagé. Ce positionnement peut devoir évoluer dans le temps.

 

 

Exemple

A Sainte Marie, Madagascar, le Gret s’est positionné très tôt en appui à la plateforme citoyenne Pcaddism, créée par des saint mariens en réaction à de fortes injustices sociales et environnementales et l’incapacité de l’Etat à faire respecter la loi. La priorité était l’empowerment des saint mariens, et le Gret affichait sa proximité de la Pcaddism, notamment vis-à-vis des pouvoirs publics et opérateurs privés de l’île. La décision des parties prenantes de l’île d’engager la création d’une aire protégée a exigé une évolution de ce positionnement. Promoteur officiel de l’aire protégée auprès du Ministère de l’environnement, le Gret a dû prendre un peu de distance vis-à-vis de la Pcaddism (tout en restant en appui) pour avoir la légitimité suffisante auprès de l’ensemble des acteurs pour jouer son rôle de facilitateur.

Exemple

En République Démocratique du Congo, le facilitateur du Gret a joué un rôle d’ensemblier pour constituer une gouvernance partagée entre les associations d’exploitants agricoles et leur faitière, la Capak au niveau d’un périmètre agroforestier en périphérie de la ville de Lubumbashi. Pour accéder à des terres sur le périmètre, les exploitants acceptent le protocole d’accord qui les engage à dédier une partie de leurs hectares à la plantation d’acacias pour produire du charbon de bois, et à restituer une partie de leurs bénéfices à la Capak, chargée de la gestion et de la sécurisation foncière du périmètre. Le facilitateur du Gret a souvent dû se positionner en médiation afin de gérer les tensions entre exploitants, et entre eux et la Capak. Afin de clarifier sa posture de neutralité et éviter d’exacerber toute forme de tension, le facilitateur a choisi de systématiquement s’absenter lors des votes en assemblée générale.

Autres illustrations pratiques :

  • L’expérience d’appui à la gouvernance partagée de l’eau potable au Sénégal témoigne de l’enjeu pour le Gret de trouver l’équilibre dans son positionnement vis-à-vis de l’Etat et des usagers de l’eau potable dans un contexte de réforme de DSP suscitant des tensions sociales.
  • L’expérience d’accompagnement à la mise en place d’une aire protégée au niveau du Parc du Diawling en Mauritanie pose la question de la neutralité dans les relations partenariales avec les institutions étatiques.
  • A Madagascar, l’évolution de la posture d’intervention du Gret vis-à-vis de l’aire protégée en construction à Sainte-Marie est la clé d’une confiance durable et de l’engagement des habitants dans la construction d’une gouvernance partagée.
  • L’exemple du projet de gestion durable des bassins versants au Laos montre qu’il est essentiel pour l’équipe de facilitateur d’expliciter un positionnement et une intention politique auprès de l’équipe de consultants intervenant pour le projet, et des Ministères concernés au Laos.

Outils, méthodes

·      Un exercice de formulation de théorie du changement (TOC) peut être utile pour préciser (pour soi-même) et formuler (vis-à-vis des tiers) l’intention portée.

·      Réaliser des TOC en petits groupes au sein d’une organisation peut mettre en évidence la diversité d’intentions politiques et de représentations des changements à atteindre à de la manière d’y parvenir.

 

Par exemple :

  • En petits groupes (3-4), formuler une définition de justice sociale et environnementale. Il est plus facile de commencer par définir des injustices sociales et environnementales.
  • Prendre une grande feuille pour réaliser une TOC. Repartir de la définition de justice et environnementale formulée avant, comme étant l’idéal de changement escompté.
  • Pour une situation donnée, se demander : Quels changements sont nécessaires pour progresser vers cette vision? (qu’est-ce qui doit changer, comment, pour qui ?)
  • Commencer par identifier les acteurs moteurs de changement en étant le plus précis possible, puis d’identifier les changements que chacun de ces acteurs devrait opérer pour contribuer à la vision plus globale.
  • Relier les acteurs et leurs changements entre eux pour faire apparaître une théorie du changement.

(2)   Faire un usage stratégique de l’outil projet

Incontournable dans l’aide au développement comme dans la mise en œuvre de toutes politiques publiques, le cadre du projet peut facilement induire des biais en défaveur de l’intention poursuivie si on n’y prend garde. La temporalité du projet est généralement d’un à trois ans, tandis qu’une dynamique de communs se construit sur le temps long. Les outils de conception du projet (le cadre logique par exemple) ne permettent pas, ou peu, d’anticiper les incertitudes et la complexité des effets d’une action sur les jeux d’acteurs. Enfin, les indicateurs de suivi sont généralement formulés en début de projet, ce qui laisse peu de place à l’adaptation des priorités de suivi à l’évolution du contexte d’intervention, ou à l’adoption d’une démarche d’essai-erreur, pourtant nécessaire en contexte d’incertitude.

Pour qu’un projet puisse être mobilisable dans le cadre d’une approche par les communs, il est conseillé, dès les phases de conception et dans la mise en œuvre des projets, de :

  • Garder la maitrise de l’outil projet, en le mettant au service de l’accompagnement d’une dynamique de commun de plus long terme. Afficher, si possible, au bailleur que le projet s’inscrit dans un appui souhaité de longue durée.
  • Porter l’accent sur les 10 leviers d’action visant à créer les conditions de l’action et l’apprentissage collectif, la construction de gouvernance partagée, tout autant que les aspects techniques.
  • Ouvrir des marges de manœuvre dans la planification des activités (ne pas trop détailler les activités dans le cadre logique, prévoir des indicateurs qualitatifs) et des moyens (prévoir des lignes budgétaires génériques assez ouvertes).
  • Veiller à ce que les arrangements de maitrise d’ouvrage / œuvre et les partenariats dans le cadre du projet placent le Gret en condition de jouer son rôle de facilitateur « engagé ».

 

 

Exemple

Au Laos, le Gret est chargé par le Ministère de l’Agriculture et des Forêts (MAF) de faciliter la création d’une gestion intégrée dans trois bassins versants au nord du pays. Le porteur politique du projet est le MAF, qui donne mandat au Gret d’assurer la fonction de facilitateur, d’une dynamique de communs portée par les acteurs de chaque bassin versant. Sur chaque bassin, le Gret dispose d’un seul facilitateur. Il est proposé aux acteurs du bassin versant de constituer une petite équipe de 5 à 7 facilitateurs locaux, constituée de techniciens publics et de représentants villageois, pour faciliter la dynamique de commun. Cette équipe est redevable au Gret pour les appuis financiers qu’elle reçoit, et elle est surtout redevable à un ‘groupe d’apprentissage’ constitué au niveau du bassin qui réunit chaque semestre une cinquantaine de représentants villageois, pouvoirs publics et opérateurs privés.

Exemple

En Haïti, l’équipe du Gret basée à Port-au-Prince a accompagné des associations de quartier à mettre en œuvre des micro-projets d’aménagement urbains en maîtrise d’ouvrage communautaire, via un fonds d’appui. Les associations et l’autorité locale de Turgeau ont été formées à l’ingénierie et la gestion de projet pour planifier et mettre en œuvre les aménagements (réservoirs d’eau de pluie, kiosque d’eau, aménagement d’espace public, service de collecte des déchets, etc.). En adoptant une approche par les communs un an plus tard, l’équipe a fait évoluer sa stratégie d’intervention pour porter un regard plus approfondi sur la gouvernance des aménagements (systèmes de gestion, de décision, de régulation et de surveillance) afin de favoriser leur durabilité et leur équité d’usage au-delà du projet. L’approche par les communs a amené l’équipe à penser l’ingénierie de projet non plus comme un objectif en soi pour les OSC, mais plutôt comme un outil qui leur permette d’accompagner autour de chaque aménagement une dynamique de communs sur le temps long.

Autres illustrations pratiques :

  • L’expérience d’accompagnement d’une gestion durable du bambou à Huaphanh montre qu’il est possible d’accompagner un processus de plus dix ans en mobilisant des projets à temporalité courte, pour permettre aux villageois de gérer durablement les forêts de bambou par la reconnaissance de leurs droits d’usage, la construction de filières locales durables et la mise en place d’un système de suivi réflexif des ressources.
  • L’exemple de la gouvernance partagée pour préserver les mares urbaines de Luang Prabang au Laos témoigne de la nécessité d’un cadre stable (maintien des équipes en place, perspectives de financement stables, autorisations à intervenir localement, etc.) pour que les projets mis en œuvre s’accordent en faveur d’une même stratégie d’intervention sur le temps long.

Outils, méthodes

Les approches orientées changement (AOC) permettent de compléter le cadre logique, conçu au moment du montage du projet, par un dispositif où les acteurs du commun planifient, mettent en œuvre, suivent et font évoluer leurs actions en fonction de la trajectoire de changement qu’ils décident ensemble.  Mettre en œuvre une AOC nécessite de se doter de marges de manœuvre suffisantes au niveau du cadre projet (cadre logique, indicateurs, etc.) pour pouvoir adapter de manière itérative les actions prévues initialement selon l’évolution des besoins et décisions des acteurs du commun.

 

Le F3E distingue cinq étapes de mise en œuvre d’une AOC :

  1. Analyser le contexte et ses protagonistes
  2. Définir une vision collective
  3. Tracer les chemins du changement
  4. Définir les activités et les stratégies qui rendront le changement possible
  5. Organiser le suivi évaluation

L’ouvrage Les Approches orientées changement, renforcer les pouvoirs d’agir avec une perspective de genre et écologique publié par le F32 en 2025 met notamment à disposition 45 fiches pratiques pour mettre en oeuvre une AOC.

 

(3)   Identifier et embarquer tous les acteurs concernés

L’approche par les communs requiert d’accorder une place centrale à l’analyse des jeux d’acteurs, car ce sont eux qui fondent une dynamique de communs. Ce troisième levier d’action est essentiel en ce qu’il détermine tous les autres (la gouvernance partagée, la formulation et l’application des règles, l’apprentissage collectif…), mais aussi en raison de la complexité des jeux d’acteurs et de pouvoir dans laquelle le facilitateur s’insère nécessairement.

Ce troisième levier d’action consiste à :

  • Identifier et caractériser tous les acteurs concernés par l(es) objet(s) commun(s) : usagers et ayant droit (ou revendiquant des droits), acteurs influents (directs et indirects), ceux impliqués dans la gestion (dont les pouvoirs publics). Repérer parmi eux les présents et non présents, organisés ou non, institutionnels ou non…
  • Repérer et caractériser les liens entre acteurs (les rapports de force, les solidarités…), les liens entre chaque catégorie d’acteurs et le(s) bien(s) commun(s) (accès, usage, gestion, exclusion, aliénation), et les conflits d’usage ou d’intérêt entre les acteurs.
  • Identifier les commoners (aussi appelés « porteurs de communs »), qui sont parfois des individus au sein des parties prenantes institutionnelles, qui portent l’intention et la pratique du faire commun et qui promeuvent le partage de la gouvernance.
  • Rencontrer les acteurs, pour identifier des portes d’entrée potentielles pour tenter d’embarquer progressivement l’ensemble des commoners et des parties prenantes dans la dynamique de comm

Exemple

Dans le Parc National du Diawling, localisé dans la commune de N’Diago en Mauritanie, le Gret a accompagné l’organisme gestionnaire (PND) pour mettre en place une cogestion sur une zone naturelle située dans l’aire périphérique du parc, aire que le PND souhaitait intégrer au parc via un projet de décret d’extension du parc. Pendant cinq ans, le Gret a accompagné le PND et les usagers des 25 villages riverains de la zone, représentés au sein d’une plateforme multipartite, dans l’élaboration d’un Plan de gestion locale et d’une convention locale qui définissent un dispositif de gouvernance partagée. Ce dispositif n’aboutira pas, en partie pour avoir insuffisamment associé des acteurs clés et influents concernés : le maire qui, soucieux de garder sa compétence et développer sa commune, s’est opposé au projet de décret, et aussi les promoteurs d’un projet de port commercial construit à la périphérie du parc.

Exemple

Au Sénégal, dans un contexte de réforme de délégation du service public d’eau potable à un opérateur privé – réforme contestée par les organisations d’usagers, l’équipe du Gret s’est positionnée en médiation entre ces derniers, les pouvoirs publics et le nouvel exploitant du réseau d’eau. Alors que la réforme fait intervenir de nombreux acteurs, en exclut certains, en fait rentrer de nouveaux et bouscule les relations existantes, le Gret et le Cirad ont utilisé la méthode PARDI[1] (Problème-Acteurs-Relations-Dynamiques-Interactions). Elle devait contribuer à redynamiser un dialogue multi-acteurs et aider les usagers à refaire leur place dans le dispositif de gouvernance. En mobilisant l’ensemble des parties prenantes du service, la méthode PARDI a permis aux usagers, aux pouvoirs publics, et l’opérateur de modéliser les interdépendances au niveau du service d’eau potable en milieu rural.

Un jeu sérieux a ensuite été développé avec l’appui du bureau Lisode pour embarquer les acteurs autour d’une compréhension commune des postures, intérêts et contraintes et chacun d’entre eux, et dans la construction d’un dispositif de gouvernance partagée.

[1] La méthode Pardi s’inscrit dans le champ des démarches de modélisation participative, telles que les jeux de rôle ou la simulation sociale dans le cadre de la recherche scientifique, qui font appel à « la modélisation comme un outil d’accompagnement des processus de production de connaissances et des processus de décision collective » (ComMod, 2013, p. 1).

Autres illustrations pratiques :

  • L’expérience de gouvernance partagée du périmètre agroforestier en République démocratique du Congo témoigne du poids des acteurs externes (la chefferie dans ce cas) sur les dynamiques accompagnées autour du périmètre, notamment sa sécurisation foncière ou sur la perception des habitants – et donc, leur engagement potentiel – vis-à-vis de celui-ci. Dans ce contexte, l’équipe du projet APHK a conçu une matrice d’analyse de la gouvernance combinant critères d’influence, positionnement, intérêts (Stakeholder Analysis Matrix) pour mieux saisir les jeux d’acteurs, les acteurs à cibler dans une théorie du changement et les leviers appropriés de leur accompagnement.
  • Les activités réalisées avec les plateformes locales de l’eau au Sénégal mettent en lumière la diversité des stratégies qu’il est possible de mettre en oeuvre pour amener les acteurs (usagers, autorités locales, services techniques, industriels…) à dialoguer autour de la préservation et du partage de la nappe souterraine, du théâtre de rue aux visites d’échanges entre industriels impactant l’eau.
  • Mares urbaines Laos : comment associer l’ensemble des concernés

Outils et méthodes

La méthode de modélisation participative PARDI vise à construire collectivement un graphique représentant les acteurs, les ressources, les dynamiques et les interactions qui entrent en jeu lorsque des personnes concernées par un enjeu commun souhaitent répondre à un problème spécifique. Cet exercice est recommandé pour appréhender des situations complexes, marquées par la présence d’une diversité d’acteurs aux intérêts divergents, et amener les parties prenantes à partager leurs arguments et points de vue afin de construire une vision commune, voire élaborer une solution acceptée par tous. La méthode Pardi permet un processus d’apprentissage collectif qui se développe dans l’interaction entre les participants et les modèles qu’ils co-construisent.

La mise en œuvre de la méthode Pardi comprend six étapes principales.

  • Préalables et principes : désigner un facilitateur pour chaque groupe de participants à l’exercice ; partager et prendre en compte l’ensemble des points de vue à chaque étape ; expliquer et discuter les points de vue de façon à construire une représentation partagée du système ; construire le modèle de façon transparente.
  • Problème : définir ensemble, de façon claire et simple, la question à traiter collectivement.
  • Acteurs : dresser la liste des acteurs qui peuvent ou devraient jouer un rôle par rapport au problème ; différencier les acteurs directs et indirects; montrer et expliciter les liens entre acteurs sur le diagramme ; rapprocher sur le diagramme les acteurs qui ont des liens forts.
  • Ressources : dresser la liste des ressources clés impliquées dans le problème ou la question; préciser pour chaque ressource des indicateurs permettant de mieux la caractériser.
  • Dynamiques : repérer et décrire les dynamiques qui induisent des changements dans le système.
  • Interactions : à partir des éléments co-construits dans les trois précédentes étapes (acteurs, ressources, dynamiques), décrire et analyser ensemble les interactions entre les acteurs et les ressources.

(4)   Être attentif aux évolutions et aux imbrications des objets de commun

Les objets de commun ne sont ni isolés ni statiques, ils sont souvent imbriqués les uns dans les autres et mobilisent des communautés d’acteurs qui se chevauchent, interagissent ou évoluent au fil du temps. Les objets autour desquels les acteurs du commun se mobilisent peuvent évoluer, changer de nature et d’échelle, d’un forage au réseau d’approvisionnement en eau, d’une forêt communautaire à sa biodiversité, d’un service d’électricité à la ressource en eau dont il dépend, etc.

Ainsi, une dynamique de commun peut émerger autour d’un enjeu très localisé, pour se constituer progressivement à l’échelle d’un territoire. Plusieurs dynamiques de commun peuvent aussi coexister à plusieurs échelles, se croiser, se suivre et se renforcer les unes les autres.

Parce qu’il existe des objets et des dynamiques de commun imbriqués, une approche par les communs nécessite :

  • D’identifier les objets de commun tels que perçus et formulés par les acteurs, et autour desquels des mobilisations ou/et des tensions sont perceptibles, et qui peuvent éventuellement déjà faire l’objet de formes de gouvernance à décrypter.
  • Repérer les liens potentiels entre objets de commun “imbriqués”: par exemple un commun de service (accès au service d’eau potable) qui dépend d’un commun de ressource (la ressource en eau).
  • Adopter une démarche stratégique des petits pas, où des dynamiques de commun construites plus facilement autour de certains objets de commun très localisés, sont susceptibles de créer les conditions d’émergence de dynamiques autour d’objets de commun plus englobants.
  • Passer d’une logique sectorielle à une logique de territoire, en incitant aux coopérations entre institutions, services administratifs, associations ou collectifs de secteurs complémentaires (eau potable, assainissement et eau ressource par exemple).
  • Formuler précisément l’objet de commun dont il est question lors de l’accompagnement fourni par le projet, tout en sachant qu’il pourra évoluer au fil du temps.

Exemple

Dans trois marchés de la ville de Port au Prince en Haïti, le Gret appuie des associations de marchandes à améliorer la gestion de l’assainissement et des déchets, en gouvernance partagée avec les services de la mairie et les différents usagers des marchés. Dans un contexte de crise sociale, politique, économique et sécuritaire, l’équipe a mis la priorité sur la construction de confiance, à deux niveaux : entre elle et les acteurs, et entre les acteurs eux-mêmes. La stratégie adoptée pour construire des dynamiques de commun est progressive, autour d’objets de commun différents : au niveau de petits blocs sanitaires construits dans chaque marché, au niveau de chacun des marchés, puis à un niveau partagé entre les trois marchés et la mairie de Port au Prince pour, notamment, gérer un camion de collecte de déchets mutualisé.

Exemple

Sur les Hauts-Plateaux malgaches, le Gret accompagne les habitants et autorités locales de trois communes rurales à gérer en commun des plateformes multi-services afin de pallier l’absence de couverture en électricité. La plateforme Ankitsikitsa propose des services en électrification (location de lampes, branchements sur place…) et en transformation agricole (décortiqueuse) grâce à l’énergie fournie par un petit barrage hydraulique. A la première période de sécheresse, un conflit a surgi autour de l’usage de l’eau et les agriculteurs en amont ont exigé l’arrêt temporaire de la production électrique pour irriguer leurs champs. Ce blocage a montré que l’objet initial du commun (la plateforme multi-service) ne pouvait être géré sans prendre en compte un autre objet de commun imbriqué : l’eau. Le Gret a donc accompagné les usagers dans une concertation et l’élaboration d’une charte pour le partage de l’eau au niveau du barrage, en fonction des saisons et de l’évolution des besoins en eau et en électricité.

Autres illustrations pratiques :

  • Les cas de la gouvernance partagée de l’eau des Niayes au Sénégal et de celle du service d’eau potable dans le Gorom Lampsar montrent qu’il est essentiel de prendre en compte les enjeux d’approvisionnement en eau potable et agricole pour impulser l’action collective en faveur d’une préservation de la nappe souterraine. Ils témoignent aussi de la nécessité de prendre en compte la disponibilité et la qualité de la ressource en eau en amont dans les discussions et décisions liées au service d’eau potable (planification, investissements, suivi, réglementation, etc.).
  • Le projet One Health en Guinée forestière illustre un dispositif de gouvernance partagée à trois niveaux, où les comités de gestion de terroir villageois, les plateformes communales One Health et les services de santé communautaire se complètent pour préserver des objets de commun à plusieurs niveaux : les forêts communautaires et cours d’eau régulés au niveau des villages, à la santé du territoire, objet de commun immatériel qui anime la mobilisation des plateformes One Health.

Outils et méthodes

Une grille d’analyse en format papier peut permettre à un groupe d’acteurs d’identifier collectivement un service, une ressource ou un espace qu’ils partagent comme objet de commun et de réaliser un diagnostic partagé de ses modalités d’accès, d’usage et de régulation actuelles et souhaitées. Ce diagnostic peut être réalisé à plusieurs reprises pour suivre l’évolution de l’objet du commun et des dynamiques qui l’entourent (interactions entre ses usagers, tensions, tentatives d’appropriation, etc.).

A Port-au-Prince, à Haïti, l’équipe du Gret a accompagné six associations de quartiers à porter et réaliser des micro-projets communautaires, visant à l’amélioration ou la création d’espaces ou de ressources (construction de réservoirs d’eau communautaire, aménagement d’un terrain public, réhabilitation d’une source d’eau…), en concertation avec l’autorité locale (le conseil d’administration de Turgeau, Casec) et les habitants.

Une grille d’analyse a été définie pour réfléchir et envisager ces aménagements comme des « communs », avec la mise en place d’une gouvernance partagée dès la phase de conception et la définition de règles en lien avec les actuels et/ ou futurs usagers. Cette grille propose 22 questions structurées autour de 4 entrées pour mieux caractériser “l’objet du commun”. Elles sont structurées autour de 4 entrées : la ressource ; les usages, usagers et droits d’accès à cette ressource ; les acteurs impliqués et leur coordination en lien avec la ressource ; et la régulation autour de celle-ci. Ces questions s’inspirent des 8 principes identifiés par E. Ostrom comme nécessaires à la gestion collective de ressources en accès partagé.

Les discussions qui s’ouvrent autour de chacune des questions de la grille permettent de préciser la nature de la ressource ou de l’espace partagé, puis d’amener les habitants à discuter des modalités d’accès, d’usage, de gouvernance et de régulation qui existent ou sont à construire.

La grille a été élaborée et utilisée comme suit :

  • Sur chacun des sites, l’équipe du projet, ou parfois les représentants d’associations de quartier, ont organisé plusieurs rencontres de 2 à 3 heures dans des lieux publics, ouverts à l’ensemble des habitants (usagers et non usagers de la ressource, autorités locales, membres d’associations)
  • Les animateurs ont ensuite mis en discussion une à une les questions de la grille, en précisant le droit à la parole et tou.te.s. Les questions ont souvent donné lieu à des délibérations dont les issues
  • Les informations collectées ont débouché sur la formulation pour chaque aménagement d’un schéma de gouvernance du ‘commun’ explicitant le rôle de chacun des acteurs et leurs interactions.

(5)   Créer les conditions favorables à l’action collective

L’action collective des différents acteurs repose sur une motivation forte et une confiance suffisante pour qu’ils décident d’y consacrer du temps et de l’énergie. L’appui à la création des conditions de cette action collective est souvent un angle mort des projets de développement.  Il est conseillé de :

  • Créer le dialogue et la confiance entre les acteurs et le Gret, entre les acteurs eux-mêmes, par diverses stratégies ou méthodes reposant sur le faire ensemble autour du bien commun : visites d’échanges associant plusieurs acteurs, petites actions conjointes…
  • Favoriser une appréhension et appropriation partagée de l’objet de commun et de ses contours, par le biais de visites de terrain conduites ensemble par l’ensemble des acteurs concernés,
  • Visibiliser les urgences et les injustices sociales et environnementales ainsi que les liens d’interdépendance, entre les acteurs et entre les acteurs et le bien commun, par le biais de méthodes reposant sur le faire ensemble : ateliers multi-acteurs, visites conjointes, études, jeux de rôle…
  • Favoriser une compréhension croisée des perceptions des acteurs entre eux, ainsi qu’une connaissance et une compréhension partagées du bien commun, par le biais de méthodes reposant sur le faire ensemble : diagnostics partagés valorisant les savoirs des uns et des autres, recherche action associant les acteurs, élaboration et application de jeux sérieux.
  • Favoriser une formulation partagée d’une vision commune autour du bien commun, par exemple par le biais de la formulation d’un récit partagé racontant une histoire commune, d’une charte qui précise des engagements communs.
  • Créer et formaliser un cadre institutionnel et politique favorable à l’action collective, en mettant notamment en avant le caractère expérimental de la démarche engagée, formalisé sous la forme d’accords multipartites, de décrets ou stratégies publiques, d’espaces mutli-acteurs d’apprentissages…
  • Appuyer des actions concrètes « rapides » ou « immédiates » aux résultats visibles créant la confiance dans l’action collective autour du bien commun.

Exemple

En 2008, dans la province de Huaphan au Nord du Laos, le Gret a suggéré aux autorités provinciales de développer des filières de bambou, en responsabilisant les villageois dans la gestion durable des forêts villageoises. Il s’agissait d’offrir une alternative aux menaces exercées sur les forêts par une forte extension de la culture de maïs destiné à l’élevage de porc au Vietnam. Le Gret a tout d’abord organisé des visites d’expérience associant les trois catégories d’acteurs, afin de leur permettre de se construire une vision partagée de ce qu’ils pourraient expérimenter à Huaphan. Convaincus par le potentiel et la faisabilité d’associer les villageois à la gestion et exploitation des forêts villageoises, le gouverneur de la province a alors constitué une bamboo task force (BTF) réunissant les différents acteurs pour élaborer une stratégie provinciale de développement du secteur bambou. Cette stratégie fait un état des lieux (diagnostic partagé), fixe des grands objectifs (une gestion durable des forêts, le développement de filières, un environnement institutionnel favorable), et prévoit la création de comité de développement bambou dans les villages et districts qui le souhaitent. Officiellement promulguée pour une durée de cinq ans, cette stratégie a donné un signal politique fort autorisant les départements techniques, les autorités villageois et district, et les villageois, à expérimenter des modalités de gouvernance partagée des forêts et des filières.

Autres illustrations pratiques :

  • L’accompagnement d’une gouvernance partagée autour la gestion des déchets à Dolisie, au Congo, témoigne de l’importance d’acquérir une compréhension fine du contexte d’intervention lorsqu’on accompagne des mobilisations collectives. En effet, l’action collective, en particulier lorsqu’elle concerne un service relevant de la municipalité et qu‘elle est l’objet d’une démarche impulsée par un acteur externe – l’ONG, est loin d’être évidente. Certaines expérimentations comme la mise en place d’un budget participatif peuvent être utiles pour rassembler les acteurs autour d’une action commune.
  • L’exemple des comités de gestion des mares urbaines Laos montre que l’utilisation d’un de plateau, ici le jeu Terristories adapté pour les zones humides, peut contribuer à impulser l’action collective en favorisant l’émergence d’une compréhension partagée des problèmes et des interdépendances en l’amont et l’aval du réseau de zones humides. Maintenir l’action collective est la prochaine étape, et elle passe par l’organisation régulière de rencontres ouvertes consistant, dans le cas de Luang Prabang, en des opérations de nettoyage des mares.

Outils et méthodes

Le jeu TerriStories® développé par le Cirad (d’Aquino, 2017)[2] est adapté par le Gret sous le nom de ”jeu des zones humides” pour faciliter un diagnostic participatif favorisant l‘action collective autour des mares urbaines de Luang Prabang.

Ce jeu de plateau permet d’amener les riverains, l’autorité locale et les services publics à construire une compréhension et une vision partagée de l’état des mares urbaines et de leur importance. Il débouche sur l’élaboration d’une première ébauche de plan d’action fondé sur les solutions concrètes.

Le jeu se déroule autour d’un plateau représentant le village (ban) avec des mares situées en amont et en aval. Il se déroule en trois temps :

  • Dans un premier temps, les participants commencent par décrire la situation des mares en utilisant des cases de différentes couleurs permettant d’indiquer la qualité de l’eau, les usages et le statut des parcelles (propriété privée et usage privé, propriété privée et usage collectif, espace public). Des pièces sont ajoutées pour représenter les activités ou les ressources identifiées sur chacune des mares. Les couleurs dominantes figurant sur le tableau de synthèse montrent un état de dégradation avancée. Plusieurs problèmes majeurs sont identifiés. De nombreuses mares sont décrites comme étant « sales » avec une eau de couleur foncée et une forte odeur due au déversement d’eaux usées. Plusieurs zones humides sont asséchées ou ont été remblayées. La sédimentation est un problème récurrent. La présence de déchets et de détritus est notée dans la plupart des sites, dont la majorité est sous propriété privée.
  • La deuxième phase a pour objectif de transformer les constats en actions concrètes. Les participants utilisent des post-it pour caractériser les défis spécifiques liés aux différentes mares, en particulier ceux liés aux déversements d’eaux usées, des déchets, de la propreté. Ils ajoutent ces post-it sur le plateau, faisant émerger des problèmes tels que la pollution ou le manque de coordination entre les utilisateurs. Menés par l’animateur, ils discutent des défis rencontrés et explorent ensemble des solutions potentielles. L’objectif était de choisir ensemble la meilleure approche pour répondre aux problèmes identifiés.
  • Les participants réfléchissent ensuite à des solutions adaptées à chaque catégorie d’acteurs. La discussion révèle que les réponses individuelles sont insuffisantes face aux crises collectives, soulignant ainsi la nécessité de coopérer. Les solutions envisagées sont regroupées en trois piliers d’action : infrastructure, gouvernance et renforcement de compétences.

[2] d’Aquino, P. (2016). TerriStories, un jeu au service de l’invention collective dans les politiques publiques. Revue Internationale Animation, Territoires Et Pratiques Socioculturelles, (10), 71–80. https://doi.org/10.55765/atps.i10.579

(6)   Favoriser l’expérimentation de gouvernances partagées

Rares sont les biens communs qui ne font pas déjà l’objet d’une forme de gouvernance. Jean-Pierre Olivier de Sardan distingue, d’après ses travaux menés en Afrique de l’Ouest huit modes de gouvernance locale : chefferial, associatif, communal, étatique, projectal, mécénal, religieux et marchand.

Ces modes de gouvernance ont souvent été importés des pays du Nord pendant la période pré-coloniale (le cas des chefferies) ou à travers les projets de développement (les cas des gouvernances associatives, communales et bien-sûr projectales). La dépendance de ces modes gouvernances aux financements des bailleurs de fonds internationaux explique en partie leur difficulté à se maintenir dans la durée pour gérer et préserver durablement les ressources naturelles, les services essentiels et les territoires.

Or, c’est généralement parce qu’elle ne parvient pas à garantir à leurs yeux la justice sociale et environnementale autour d’un objet de commun, que les commoners jugent nécessaires de faire évoluer les modalités de gouvernance en s’y associant. Cette évolution, qui bouscule les pratiques et les pouvoirs, ne peut se construire que progressivement, dans un rééquilibrage des asymétries de pouvoirs, dans une démarche d’apprentissage.

Dans ce contexte, l’approche par les communs vise à accompagner les personnes à construire ensemble les modalités de gouvernance qui leur semble appropriées à la fois politiquement, socialement, économiquement et culturellement. L’objectif est d’inverser la démarche qui est historiquement celle des projets de développement, en n’apportant pas de modèle de gouvernance pré-conçu et en anticipant la pérennisation (notamment économique) de la gouvernance partagée qui sera décidée et mise en place par les commoners.

L’approche par les communs pourra contribuer à :

  • Révéler, comprendre et analyser l’efficacité des systèmes de et surtout leur application pratique. Plusieurs registres de gouvernance se superposent parfois voire rentrent en contradiction, chacun d’entre eux reposant sur ses normes et valeurs, ses règles et sanctions, son autorité, voire ses dispositifs de surveillance. Construire une gouvernance partagée suppose de prendre en compte et s’appuyer sur les systèmes de gouvernance existants. Dans certains cas, il peut être nécessaire de faire reconnaître par l’autorité publique un ou plusieurs systèmes de gouvernance afin d’assurer la prise en compte des règles, normes et valeurs s’y afférant dans le dispositif de régulation qui accompagnera la gouvernance partagée.
  • Elargir les référentiels des commoners et parties prenantes, via des visites d’échange sur d’autres expériences de gouvernance partagée
  • Equilibrer les rapports de force en favorisant l’empowerment des parties prenantes peu exercées à participer dans les instances de gouvernance. Cet empowerment se traduit par exemple par une meilleure maitrise de l’information, la mise en réseau, des actions collectives de veille ou d’alerte, des luttes fondatrices.
  • Construire des mécanismes permettant aux usagers de construire et porter leur voix dans les instances de gouvernance partagée, par exemple par le biais de structures associatives.
  • Construire et tester des dispositifs et procédures de gouvernance partagée permettant aux parties prenantes de décider ensemble des droits, règles et actions pour l’usage et la gestion du bien commun, en veillant à la représentativité et redevabilité de ceux qui prennent les décisions.
  • Construire des articulations qui maintiennent une tension positive entre des dynamiques de commun et les pouvoirs publics, par exemple en distinguant l’accompagnement des collectifs citoyens d’une part et l’engagement des pouvoirs publics d’autre part, ou en prévoyant des espaces de dialogue non-rattachés au dispositif institutionnel pour favoriser un échange plus libre en amont ou à côté des décisions institutionnelles.

Exemple

La dynamique en cours à Sainte Marie, Madagascar, porte une expérience ambitieuse et originale de construction d’une gouvernance partagée qui illustre bien la superposition des normes et leur articulation à travers une gouvernance partagée à plusieurs niveaux.

Faisant le constat d’un déficit des trois registres de gouvernance identifiés sur l’île (coutumière, publique, associative) pour assurer une gestion juste et durable des milieux de vie et des ressources naturelle, les populations saint mariennes, sous l’égide de la Pcaddism et avec l’appui du Gret, ont engagé deux processus parallèles et complémentaires de construction de gouvernance partagée. L’une repose sur l’élaboration par tous les villages de l’île d’un dina-be, sorte de grande convention sociale en grande partie assise sur la coutume et les autorités coutumières (tangalamena), qui définit des règles du vivre ensemble entre les populations, les milieux de vie et les esprits. Ayant obtenu l’homologation de ce dina-be, la Pcaddism organise actuellement avec les pouvoirs publics et les autorités coutumières la structure de mise en application de ces règles (information, surveillance, instances de jugement…) sur l’ensemble de l’île. Parallèlement, un deuxième dispositif de gouvernance partagée est en construction dans le cadre de la création d’une aire marine et terrestre protégée. Un zonage, des règles d’accès et d’usage sont en cours de définition, qui s’appliqueront sur les zones protégées seulement, en adéquation avec les règles du dina-be déjà reconnues. Il est proposé que l’aire protégée soit gérée en en co-gestion conjointe par la Pcaddim dans le cadre d’un comité de gestion muti-acteurs, associant les différentes parties prenantes de l’île, dont les pouvoirs publics.

 

Exemple 

Au Sénégal, la Fédération d’usagers des réseaux d’eau potable du Gorom Lampsar avait un rôle prépondérant dans la gestion du service en milieu rural avant la réforme de délégation de service public en 2014. Alors qu’elle était mise au ban par la réforme, elle a été accompagnée pour assumer un rôle de contrôle et de suivi des politiques publiques de l’eau. L’approche par les communs a consisté à renforcer le collectif dans sa capacité à porter la voix des usagers, mener des actions concrètes de suivi de la distribution en eau et se poser en intermédiaire entre le nouvel opérateur privé et les usagers, par exemple lors de la réalisation de branchements particuliers. La Fasurep joue désormais un rôle de représentation de leurs intérêts lors des Comités locaux de suivi du service afin de peser dans les décisions liées à l’eau potable (investissements, tarification, contrôle de la qualité de l’eau, branchements, etc.). Cet exemple montre que l’appui à la construction d’une gouvernance partagée ne se joue pas uniquement au niveau des instances décisionnelles mais aussi en amont, auprès de chacune des parties prenantes, afin qu’elles soient capables de contribuer à une forme co-production de service public.

Autres illustrations pratiques

  • L’exemple de Dolisie, au Congo-Brazzaville, où le Gret a adopté une démarche explicite en faveur d’un commun de service de gestion des déchets, rappelle la nécessité de tenir compte des éléments de contexte socio-culturel comme autant d’éléments de blocage structurel à l’action collective. Or, sans action collective, un dispositif de gouvernance partagée formalisé collectivement n’aura que peu de chance de survivre.
  • Les plateformes locales de l’eau dans les Niayes au Sénégal sont les témoins d’espaces d’expérimentation démocratique participant activement à une gouvernance partagée de l’eau souterraine depuis l’échelle communale ou intercommunal, à celle du bassin-versant.
  • A Haïti, dans le cadre du projet Pascal-DT l’accompagnement des associations de quartier de Port-au-Prince montre que l’utilisation d’une simple grille d’analyse peut être utile pour analyser les dynamiques de gouvernance à l’œuvre autour de petits aménagements urbains. Elle peut être complétée par l’élaboration collective de schémas de gouvernance afin de formaliser la répartition des rôles entre l’autorité locale, les usagers et les associations pour assurer la gestion et la préservation de leur objet de commun.
  • A Port-au-Prince, dans le cadre du projet Urbayiti, le Gret réfléchit sa stratégie à trois échelles de gouvernance partagée : celle des trois blocs sanitaires chacun géré par un comité de gestion ; celles des trois marchés, chacun représenté par une association de marchandes ; et celle du Comité de Concertation et de Réflexion (CCR) faisant intervenir les acteurs des deux premiers niveaux aux côtés des autorités locales (service voierie de la mairie et directeurs des marchés).
  • En RDC, l’expérience de gouvernance partagée du périmètre agroforestier où le Gret a joué un rôle de conseiller-organisateur pour la construction d’une gouvernance à deux niveaux : d’un côté dix associations d’exploitants agroforestiers, de l’autre leur faitière

Outils et méthodes

Les ressources issues de l’éducation populaire peuvent aider à créer les conditions et accompagner l’émergence d’une gouvernance partagée en communs.

L’éducation populaire, qui se comprend pour Anthony Brault comme la pédagogie de la démocratie, porte en elle une intention politique proche de l’approche par les communs : rééquilibrer les rapports de pouvoirs face aux injustices sociales et environnementales.

Pour Paul Ricoeur, « est démocratique une société qui se reconnaît divisée, traversée par des contradictions d’intérêt, et qui associe à parts égales chaque citoyen dans :

  1. l’expression de ces contradictions,
  2. l’analyse de ces contradictions,
  3. la délibération de ces contradictions,
  4. en vue d’arriver à un arbitrage ».

Ces quatre étapes, de l’expression à l’arbitrage (la décision) sont autant de moments clé dans la gouvernance partagée, où les personnes qui y prennent part peuvent être appuyés avec des outils, méthodes, pratiques et postures.

Au Sénégal, par exemple, le Gret a animé des séances de théâtre-forum pour favoriser l’expression des femmes et ainsi préparer une gouvernance partagée de l’eau plus représentative.

(7)   Favoriser l’expérimentation (en pratique) de droits, règles et actions

Les espaces de gouvernance partagée organisent la façon dont est définie et contrôlée la mise en œuvre des droits, règles et actions pour les usages et la gestion du bien(s) commun(s). Il est conseillé de suggérer aux acteurs de :

  • Veiller à la cohérence des règles et de leur mise en application avec les différents registres de gouvernance (cf. supra) le cas échéant.
  • Faire en sorte que les droits, règles, sanctions et actions soient connus et compris de toutes les parties prenantes (communication…)
  • Organiser le contrôle de l’application des règles et l’application des sanctions, dont il est recommandé qu’elles soient progressives.
  • Accompagner l’apprentissage de la mise en œuvre des règles et sanctions, qui peuvent demander des actions de formation (de ceux qui doivent faire respecter les règles), des procédures d’arbitrage (sur l’interprétation des règles)…
  • Appuyer la conduite d’actions concrètes et visibles de gestion ou d’usage, qui apportent des avantages visibles à la majorité, dans le même temps que l’expérimentation de la gouvernance et des règles et sanctions.

Exemple 

En République Démocratique du Congo, les exploitants du périmètre agroforestier doivent accepter un protocole d’accord afin de se voir octroyer une parcelle. Ce protocole avait été rédigé par le Gret et la coopérative identifiée pour gérer le périmètre en 2013. Celui-ci conditionne l’attribution de 12 hectares à la plantation d’au moins un hectare d’acacia dédié à la production de charbon de bois. Le protocole encadre aussi la réalisation d’action collectives comme l’entretien des pare feux, des pistes ou des forages.

Alors que la démarche du Gret s’apparente au départ à la création d’un commun depuis l’extérieur, sa mise en retrait progressive en l’absence de projet semble favoriser une appropriation de ce commun par les associations d’exploitants. Face aux exclusions qui frappent ceux ne parvenant pas à planter annuellement un hectare d’acacias, ces derniers décident en assemblée générale de faire évoluer le protocole d’engagement et de le revoir à la baisse. La Capak acte que les exploitants ne parvenant pas à respecter cette règle peuvent ne planter qu’un demi-hectare d’acacias, à la condition d’accepter que leur lot agroforestier soit réduit de moitié (passant de 12 à 6 hectares).

Ainsi, les exploitants, à travers leurs instances de gouvernance, ont non seulement continué à exploiter le périmètre, mais également modifié les règles qui le régissaient pour faire évoluer le modèle mis en place par le Gret vers quelque chose de considéré comme plus juste.

Exemple

A Sainte-Marie, le Gret et le Cirad ont accompagné la Pcaddism à se saisir de différents registres de droit pour mettre en place et suivre des droits et règles d’usage du territoire.

D’une part, la Pcaddism a conduit dans chacun des 17 fokontany de Sainte-Marie un processus de définition et réactualisation de conventions sociales applicables sur l’ensemble de l’île, sous une modalité coutumière encadrée par la loi : le dinabe[3]. En parallèle, afin de mener à bien le projet des Saint-mariens de mettre en place une aire protégée en cogestion conjointe, la Pcaddism est accompagnée dans l’analyse du Code de gestion des aires protégées, relevant du domaine de l’Etat.

Un des défis réside dans la mise en place d’un système de régulation qui concilie le dina-be, homologué depuis 2023 par le tribunal de Fenerive, et les règles du Code des aires protégées s’appliquant à la future aire protégée qui couvrira une partie de l’île.

A cette imbrication à construire autour des registres de droit s’ajoute celle des instances de gouvernance pour élaborer, articuler, mettre en œuvre et contrôler l’application de ces règles. Les Komity Mavingan assurent dans le cadre du dina-be des actions de surveillance, notamment dans la forêt de Kalalao. Ils collaborent avec les autorités environnementales acceptent de collaborer avec ce dispositif de surveillance communautaire, qui renforce leur action et leur permet d’avoir de la visibilité sur ce qui se passe sur terrain. Cette collaboration parfois difficile pourrait être institutionnalisée dans le cadre de la future aire protégée.

[3] Dina. Un dina est une convention collective présentée sous forme écrite, librement adoptée par la majorité des membres du fokonolona ou ses représentants, et qui permet de prendre des mesures pour l’harmonisation de la vie sociale, sur l’économie ou sur des questions environnementales(1). La reconnaissance des dina est encadrée par la Loi no 2001-004 portant réglementation générale des dina en matière de sécurité publique. Un dina ne devient exécutoire qu’après son homologation par le tribunal judiciaire territorial compétent (source : Loi no 2001-004 du 25 octobre 2001, citée dans le carnet faire commun n°6)

Autres illustrations pratiques

  • L’expérience de Huaphan illustre la manière dont des forêts de bambou peuvent être gérées durablement par les villageois, grâce à des règles d’accès et d’usage élaborées, mises en œuvre et suivies par les comités villageois et l’association BNDA, dans une démarche itérative d’apprentissage collectif.
  • En Guinée forestière, l’expérience d’opérationnalisation de l’approche One Health par le Gret a notamment donné lieu à l’appui de Comités de gestion de terrioirs villageois à l’élaboration et au suivi de règles concertées visant préservation des biens communs villageois (notamment les cours d’eau et les forêts sacrées).

Outils et méthodes

Les jeux de simulation peuvent être utiles pour amener un groupe d’usagers ou futurs usagers à mettre en place les règles de gestion et de tarification d’un service en commun.

A Madagascar, le Gret en a conçu un pour amener les habitants de trois communes rurales dépourvues d’accès à l’électricité à définir un dispositif de gouvernance partagée autour de plateformes électriques multi-service. L’enjeu était de favoriser la construction collective de modalités de gestion, de tarification et de décision qui soient adaptées au contexte et aux besoins des futurs usagers de chacune des trois plateformes.

Le jeu conçu et utilisé dans chacune des trois communes permet de visualiser les rôles des acteurs, comprendre les interdépendances et anticiper les impacts concrets de leurs décisions sur le service – notamment en matière de viabilité économique, avec des paramètres comme la fréquentation des services ou l’ajustement des tarifs.

Un panneau représente la plateforme multiservice et les participants interviennent en incarnant différents acteurs clés : gestionnaire, opérateur privé, commune, et usagers. Chaque ménage se voit attribuer un budget fictif pour simuler ses choix de consommation selon des tarifs co-définis.

Le jeu se déroule sur trois sessions au minimum pour favoriser une appropriation progressive et collective des décisions.

Après chaque session, les résultats sont analysés collectivement, en confrontant les données issues du jeu au contexte réel du village (capacité électrique, nombre de ménages, etc.).

L’animateur joue un rôle essentiel pour interpréter les résultats, rappeler les contraintes techniques et guider la discussion vers des choix éclairés.

A Madagascar, l’utilisation de ce jeu par les habitants des trois communes concernées a favorisé leur engagement pour gérer et prendre soin des plateformes électriques multi-services d’Ankitsikitsa, Fiadanana et Sahanimira.

(8)   Suggérer la mise en place d’un suivi-évaluation réflexif, par et pour les commoners

Indépendant du suivi évaluation du projet, le suivi réflexif des acteurs du commun est un indicateur de bonne santé d’une dynamique de commun. Il a vocation à les aider à prendre soin du bien(s) commun(s), et notamment objectiver leur analyse de l’impact des règles et actions qu’ils décident. Il est conseillé de :

  • Repérer les dispositifs existants d’information (informels, recherche, Etat) sur le commun, et proposer aux acteurs d’analyser la façon dont les acteurs du commun les utilisent : quelles informations leur semblent pertinentes pour prendre soin du bien commun, quel accès à l’information ont les différentes parties prenantes, quels autres indicateurs sensibles seraient pertinents ?
  • Proposer ou appuyer graduellement des éléments des dispositifs de suivi réflexif, qui soient pertinents et utiles à l’apprentissage continu des acteurs du commun, en veillant à ne pas se substituer. Il peut s’agir par exemple de :
    • Accompagner les acteurs du commun dans la définition d’une méthodologie de collecte d’informations
    • Accompagner les acteurs du commun dans le choix d’indicateurs pour suivre l’évolution de leur objet de commun, en s’appuyant sur la pluralité des savoirs
    • Proposer si besoin des outils de suivi suffisamment simples pour pouvoir être appropriés par le plus grand nombre et utilisés dans des contextes variés
    • Faciliter la mise en discussion des données tirées du suivi
    • Faciliter la circulation de l’information tirées du suivi auprès des décideurs, afin de favoriser l’orientation des décisions
  • Expliciter aux partenaires techniques et financiers du projet et le cas échéant aux acteurs du commun, la différence entre le suivi-évaluation du projet (pour les bailleurs) et le suivi réflexif de la dynamique de commun (par et pour les commoners).

Exemple 

Dans la zone des Niayes au Sénégal, la baisse de la quantité et de la qualité de l’eau, liée à la surexploitation des nappes, à la pollution et au défaut de traitement, a conduit à inscrire le suivi des ressources en eau comme une priorité au niveau local.

Les plateformes locales de l’eau (PLE), rassemblant tous les usagers de l’eau – élus, agriculteurs, ménages, services techniques à l’échelle communale, réalisent une forme de suivi réflexif des ressources en eau à plusieurs niveaux :

  • Elles recensent les ouvrages hydrauliques (forages) dans la zone
  • Elles suivent le niveau de la nappe à l’aide de piézomètres
  • Elles suivent la qualité de l’eau dans la nappe et les foragees à travers la réalisation régulière de tests physico-chimiques simples.
  • Elles contrôlent l’eau potable distribuée, en lien avec les services d’hygiène, les associations d’usagers de forage (Asufor, asurep), les opérateurs privés (la Sen’eau) et les industriels.

Ces actions de suivi ont été inscrites dans les Plans Locaux de Gestion Intégrée des Ressources en Eau (PLGIRE) portés par les PLE.

Les données collectées deviennent des outils de médiation, de dialogue pour orienter les décisions. Les résultats du suivi sont en effet mis en débat collectivement lors de réunions organisées par les PLE.

Elles sont ensuite utilisées pour sensibiliser les populations sur les risques sanitaires, et les pratiques pour les éviter. Enfin, la mise en discussion de ces données débouche sur la mise en place de dispositifs de veille permettant d’interpeller régulièrement les opérateurs sur la nécessité de transparence et de conformité.

Par exemple, à Mont Rolland, la mise en discussion des données sur la qualité de l’eau a relancé le dialogue avec l’opérateur privé sur une coloration inhabituelle de l’eau; A Diender, elle a conduit à une révision des priorités d’investissement communal et à des négociations avec l’Asufor pour l’installation d’un dispositif de chloration. Enfin, à Darou Khoudoss, la PLE a réussi à mobiliser la mairie et des acteurs industriels pour financer des analyses de qualité bactériologique de l’eau.

Vis-à-vis de ce suivi réflexif, le Gret a adopté une posture d’accompagnement en proposant un appui technique (méthodologie, formations, mise à disposition de piézomètres et matériel de test de qualité), un soutien au plaidoyer local en facilitant les liens entre les PLE, les mairies, la DGPRE et les opérateurs, et une mise en réseau des expériences entre PLE pour les amener à mutualiser leurs pratiques et analyses.

Le suivi réflexif conduit par les PLE leur ont permis d’affirmer leur rôle complémentaire aux pouvoirs publics et aux opérateurs privés dans une perspective de co-construction de politiques publiques. Le maintien dans la durée de cette dynamique de suivi réflexif par les PLE nécessite néanmoins que celles-ci gagnent une reconnaissance formelle, des ressources suffisantes, et un ancrage politique fort. 

Exemple 

A Port-au-Prince, à Haïti, le Gret accompagne les associations de marchandes, des comités de gestion de blocs sanitaires et les services techniques de la ville dans la mise en place de mécanismes de gouvernance partagée autour de la gestion des déchets dans les marchés.

Deux dynamiques de suivi réflexif ont été identifiées et facilitées par l’équipe du Gret : d’une part, dans chacun des trois marchés, le comité de gestion suit et fait évoluer les règles d’accès et d’usage du bloc sanitaire afin de concilier équité d’accès et pérennisation économique, notamment via la tarification. D’autre part, le camion-benne au niveau de chaque marché fait l’objet d’une forme de suivi réflexif par les associations de marchandes en relation avec les directeurs de chaque marché et le service de voierie (responsable de la collecte et propriétaire des camions). Ils ont décidé la mise en place d’un comité de gestion du camion afin de suivre son passage dans les marchés et de faire évoluer les mécanismes de gestion en fonction. Le comité prévient le service voirie lorsque les drums[4] sont pleins et que le camion doit passer prendre les déchets dans les marchés. De son côté, le service voirie (responsable de la collecte) alerte le comité s’il y a des manifestations, barricades, qui pourraient empêcher le camion de passer dans les marchés, pour que le comité prenne des dispositions en organisant un stockage un peu plus prolongé jusqu’au passage du camion.

Ces deux dynamiques de suivi réflexif se matérialisent au niveau d’un Cadre de Concertation et de Réflexion à l’échelle de l’ensemble des trois marchés. Le Gret a joué un rôle d’impulsion assez fort, dans un contexte où ces pratiques ne sont pas courantes, mais aussi de médiateur et de facilitateur de la confiance et de mécanismes de redevabilité entre commoners.

[4] Barils qui contenaient de l’huile/d’autres fluides, qui sont revendus en seconde main une fois arrivés en Haïti, et qu’on utilise comme contenants pour stocker les déchets au plus près des producteurs de déchets dans les marchés (= les drums sont disposés près des stands de certaines marchandes).

Autres illustrations pratiques :

  • A Luang Prabang, au Laos, le comité de gestion des mares urbaines a  été appuyé dans la mise en place d’une forme de suivi  réflexif avec l’appui de l’autorité  locale en vue d’orienter ses actions et les règles de gestion des mares. A travers les activités de nettoyage des zones humides et des canaux, les membres du comité observent la végétation, la présence de déchets, l’odeur et la hauteur de l’eau. Les observations sont remontées en réunions de village. Le comité est accompagné par le Gret pour organiser un retour collectif avec les habitants sur l’utilisation des bacs à graisse en vue de tirer des enseignements sur les règles et actions à mettre en place sur l’assainissement. Enfin, un laboratoire de suivi de la qualité des eaux a été installé dans les bureaux des services urbains. Il est prévu d’utiliser les résultats de ce suivi de la qualité des eaux comme outil d’aide à la décision pour le comité et l’autorité locale.
  • Au Sénégal, l’approche par les communs consiste à accompagner les usagers du service d’eau potable (représentés par la Fasurep) à suivre le fonctionnement de la délégation de service public et de rendre compte de plaintes, de requêtes ou de points de discussions lors des  réunions des Comités Locaux de Suivi à l’échelle des arrondissements, puis au niveau régional. L’objectif est pour la Fasurep de mettre en discussion les données de leur suivi (notamment réalisé via une plateforme de remontée des plaintes), en vue d’orienter les prises de décision concernant le service.  Le Gret a, dans cet exemple, une posture d’observateur au sein des CLS, dont il a facilité la mise en place.

Outils, méthodes

Une simple grille de questionnements peut être utile au facilitateur pour repérer et caractériser des dispositifs existants de collecte et de mise en discussion d’informations sur un objet de commun.

La grille expérimentée par les équipes du Gret propose de diagnostiquer les dynamiques de suivi réflexif existantes en portant son regard sur :

  • La délimitation du commun et le degré de concernement d’une ou plusieurs dimensions de l’objet du commun
  • Les usagers et le niveau de précision de leur identification ou non comme communauté d’acteurs
  • La reconnaissance institutionnelle du commun et l’existence d’une documentation afférente
  • L’organisation de la gouvernance, son objectif principal et le niveau d’attente des usagers vis-à-vis de celle-ci
  • L’existence de moments dédiés au bilan et à l’analyse rétro-active autour de l’objet du commun
  • Les informations qui circulent sur l’état de l’objet du commun et son évolution, et la manière dont elles circulent
  • L’existence de règles constitutionnelles ou opérationnelles autour de l’objet du commun
  • La présence de droits liés à l’usage de l’objet du commun
  • Les mécanismes de surveillance à l’œuvre
  • Les mécanismes de résolution des conflits à l’œuvre

Des questions accompagnent chacun des ces aspects, afin de les caractériser sous la forme de jauge (du niveau 1 à 4).

(9)   Promouvoir et affirmer une démarche d’apprentissage collectif

Adopter une démarche d’apprentissage collectif, à la fois de la part des acteurs du commun et de la part du projet, crée un environnement favorable pour embarquer progressivement les parties prenantes (qui pourraient être réticentes) dans l’action collective et la construction d’une gouvernance partagée. Cela permet aussi aux acteurs du commun d’ajuster progressivement leur organisation, d’apprendre dans l’action, dans le “faire commun”. Il est conseillé de :

  • Affirmer et afficher cette démarche d’apprentissage : on a le droit à l’erreur, on peut revenir en arrière, on apprend ensemble…
  • Créer des conditions favorables à l’apprentissage, par exemple en adoptant une démarche de recherche action, en suggérant et facilitant des espaces multi-acteurs de mise en discussion, en instaurant une certaine routine de mise en discussion (réunions périodiques), en prenant appui sur le dispositif de suivi réflexif…
  • Dire que le projet, aussi, s’inscrit dans cette démarche d’apprentissage, pour adapter au mieux son accompagnement

Exemple 

Au Laos, le Gret accompagne les villageois de la province de Huaphan dans la préservation et la gestion durables des forêts de bambou, en combinant une approche territoriale (gestion des terres et des forêts, plantations) et par les chaînes de valeur (commerce, organisation des producteurs et prestataires, cadre politique propice). Rythmé depuis 2010 par des ateliers multipartites annuels, un processus continu d’apprentissage par essais et erreurs permet aux villageois de formuler et faire évoluer les règles liées à la sécurisation des droits fonciers et aux mécanismes de gouvernance.

Les boucles d’apprentissage se constituent en plusieurs phases, et enrichies par des visites d’échanges entre villages :

  • L’analyse et le diagnostic fondé sur les connaissances empiriques des villageois et complété par des méthodes holistiques, telles qu’un diagnostic agraire ou des études de marché
  • Des consultations pluri-acteurs par chaîne de valeur (comités villageois, groupements de producteurs, représentants du secteur privé et des autorités publiques)
  • Des expérimentations, notamment en matière de gestion forestière
  • Des analyses des leçons apprises et des erreurs réalisées
  • La validation par les autorités publiques des méthodes et adaptation des politiques du secteur

Autres illustrations pratiques :

  • L’exemple de l’accompagnement des plateformes locales de l’eau montre comment l’approche orientée changement peut appuyer une démarche d’apprentissage collectif permettant aux usagers de l’eau d’adapter leurs actions pour préserver et partager la nappe souterraine. Dans cette situation d’action, l’équipe du Gret accompagne les plateformes locales de l’eau et les autorités dans une démarche de recherche-action. Elle formule des hypothèses de stratégies d’accompagnement, et les actions induites par l’approche par les communs permettent de les tester, pour affiner les stratégies d’intervention.
  • Au Laos, le Gret a proposé la mise en place de Watershed Learning Groups – groupes d’apprentissage au niveau de chacun des trois bassins-versants concernés par le projet Swan.  A travers un fond d’appui,  les membres de ces groupes identifient, mettent en œuvre et suivent des actions prioritaires en matière d’agroécologie et de préservation de l’eau. Lors des réunions des Watesherd Learning Groups, les habitants – dont les minorités ethniques et personnes vulnérables, participent à une mise en discussion des actions réalisées – ou à réaliser, avec les autorités des districts et de la province, favorisant une dynamique élargie d’apprentissage collectif, inédite au Laos.

Outils, méthodes

Le concept de boucle d’apprentissage peut aider à formulation d’une stratégie pour accompagner des acteurs dans une dynamique d’apprentissage collectif, leur permettant d’expérimenter et d’améliorer en continu les règles de préservation et de gestion du commun et leurs mécanismes de gouvernances.

Il peut être schématisé comme suit :

[insérer photo  boucles d’apprentissages HD à récupérer]

 

(10)  Créer les conditions de la durabilité des dynamiques de commun

Une dynamique de commun n’a pas vocation à perdurer telle quelle : elle évolue en permanence (par le biais de l’apprentissage collectif), et peut prendre d’autres formes ou se structurer à d’autres niveaux. Pour autant, les dynamiques de communs peuvent être fragilisées, par des facteurs externes ou internes, et aussi par la manière dont le projet a conduit l’accompagnement. Il est conseillé de veiller à :

  • Aider les commoners à sécuriser leurs droits sur le bien commun vis-à-vis de pressions externes, sans projet : par exemple la maitrise foncière, les arrangements institutionnels multi-acteurs…
  • Anticiper dès le départ la question de la prise en charge financière des coûts de transaction de la dynamique de commun (réunions multi-acteurs, facilitations…), sans projet. Il est utile de veiller à réduire les coûts de transaction d’une part, identifier des sources pérennes de financement d’autre part. Il est en particulier important de ne pas générer de dépendance en abusant des perdiems pour mobiliser les acteurs pendant le projet.
  • Appuyer l’émergence de facilitateurs locaux qui puissent assurer ce rôle sans projet (sans générer l’accaparement de la dynamique par un groupe d’acteurs)

 

 

Exemple

En périphérie de la ville minière de Lubumbashi, en République Démocratique du Congo, le Gret et Nature + cherchent à viabiliser le périmètre agroforestier mis en place par la sécurisation foncière, la rénovation des forages, la construction d’une quarantaine de maisons manquantes pour sédentariser les exploitants sur le périmètre, et la stabilisation de l’itinéraire technique agroforestier.

Installés à partir de 2012, les exploitants sont appuyés pour planter et exploiter des acacias afin d’en tirer des revenus par la vente de charbon de bois. La Capak, faitière des associations d’exploitants créée en 2014 est chargée de gérer une partie de ces revenus afin d’assurer la gestion et la sécurisation du périmètre.

Des tensions grandissent néanmoins entre les associations et la Capak, et entre les exploitants autochtones et ceux arrivant de la ville, fragilisant un engagement collectif déjà fragile en raison de la création “de toute pièce” de l’objet du commun (le périmètre).

C’est à partir de 2016, lorsque le Gret et Nature + se retirent que les associations d’exploitants commencent à parler de « leurs » arbres, et s’engagent dans la réadaptation autonome des mécanismes de gouvernance partagée et des règles du périmètre (le protocole d’accord). En 2019, le programme Communs ouvre l’opportunité de reprendre l’appui aux acteurs du périmètre en focalisant la stratégie d’intervention sur les enjeux de suivi, de gouvernance et de sécurisation du périmètre, tout en appuyant les exploitants dans l’élaboration de plans d’affaire.

Cette expérience apprend que deux conditions restent incontournables pour que le commun agroforestier puisse continuer à vivre et exister. D’une part, l’existence même du périmètre est dépendante de la sécurisation des droits fonciers des exploitants sur le long terme. D’autre part, le fonctionnement de sa gouvernance associative et l’organisation des campagnes agroforestières réclament des mécanismes de financement pérennes.

Exemple

Dans la province de Huaphan au Laos, la dynamique collective de préservation et de gestion durable des forêts de bambou est toujours à l’œuvre depuis le début de son accompagnement par le Gret en 2008, et ce malgré des périodes sans projet d’appui.

Ce maintien sur le temps long d’une gouvernance partagée a notamment été possible par la prise du relai de la facilitation engagée par une association locale, le BNDA. Sa création, sa reconnaissance  institutionnelle et sa structuration ont été accompagnées par le Gret de 2017 à 2021.  Elle émerge au départ comme  une organisation d’offre de services aux acteurs de la filière bambou au niveau provincial, qui prend le nom de Bamboo and Non Timber Forest Product Development Association (BNDA). Elle a vocation à soutenir les producteurs et organisations dans la gestion de la ressource et dans le développement des chaînes de valeur sur le long terme.

La définition des statuts, du rôle et du positionnement du BNDA a fait l’objet d’un processus de  négociation et de facilitation de la confiance de part et d’autre entre  celle-ci, et les autorités provinciales et nationales. La BNDA, enregistrée en 2020 comme association à but non lucratif (Non-Profits Association – NPA) a été inscrite dans la deuxième stratégie provinciale du Bambou. Positionnée comme facilitatrice de démarches participatives et inclusives, elle constitue aujourd’hui un acteur clé  dans la structuration de la filière  à l’échelle des 70 villages de  Huaphan.

Autres illustrations pratiques :

  • A N’kayi et Owando, au Congo-Brazzaville, la mise en place d’un budget participatif a constitué un levier pour redynamiser l’action collective initiée dans la ville voisine de Dolisie, et inscrire dans le temps des mécanismes de collaboration entre les habitants, les associations, les autorités locales et les  opérateurs privé autour de la gestion des déchets  et plus largement des services urbains.
  • L’expérience d’appui au comité de gestion des mares urbaines de Luang Prabang montre que les  rétributions monétaires de type « per diem », utilisés pour défrayer les participants à des ateliers ou instances de gouvernance partagée, peuvent avoir un effet pervers vis-à-vis de l’engagement des acteurs du commun sur le long terme.

Outils, méthodes

La formation de facilitateurs relai est un levier clé pour inscrire une dynamique de gouvernance partagée dans la durée, au-delà du temps du projet d’appui.    Il peut être question de former des associations locales  qui partagent l’intention politique du commun à la gestion de projet pour qu’elles renforcent leurs capacités de  formulation, de mise en œuvre et de suivi de projets d’appui à un commun plus large.   Cela suppose à la fois un renforcement de la gouvernance  associative, pour que la structure soit en mesure de lever et gérer des fonds; et un renforcement des compétences techniques en gestion de projet.

Mais comme en témoigne l’expérience d’appui  aux  associations de Port-au-Prince  à la maîtrise d’ouvrage communautaire, la transmission de capacités en gestion de projet à une association relai ne suffit pas à garantir un accompagnement à la dynamique de commun sur le temps long. L’association locale se heurtera comme le Gret aux limites qui accompagnent les projets de développement.

Accompagner un passage de relai dans la facilitation engagée nécessite donc aussi de travailler avec la structure porteuse  à la formulation de son positionnement vis-à-vis des différents acteurs du commun, et à la manière dont elle accompagnera les dispositifs de gouvernance partagée sur le temps long.

Des pratiques favorisant le faire commun

Une autre manière de mettre en œuvre une approche par les communs consiste observer et s’inspirer de pratiques qui semblent favoriser des dynamiques de communs.  Entre 2019 et 2024, les équipes du Gret ont expérimenté et documenté un certain nombre d’outils, de méthodes et de stratégies, dans une démarche de recherche-action.

Le suivi et la documentation du déroulement des projets engagés ont permis d’identifier plusieurs pratiques, récurrentes dans les différentes situations d’action, particulièrement contributives aux dynamiques collectives accompagnées et qui permettent de caractériser le positionnement de facilitateur engagé.

Ces pratiques peuvent contribuer à plusieurs des leviers présentés car tout dépend des finalités qu’elles ont, c’est pourquoi elles sont présentées ici.

Des diagnostics partagés

L’étape du diagnostic est identifiée par les équipes projets du Gret comme une étape primordiale de l’approche par les communs. Mais ce terme renvoie à une pluralité de pratiques : « Un diagnostic est une activité organisée de recueil d’informations par rapport à un questionnement. Il permet de décrire une réalité et d’en mettre en avant les points saillants, d’identifier les pistes d’actions prioritaires. Il peut être issu d’une démarche d’enquête ou résulter d’un débat entre acteurs porteurs d’une connaissance de la zone. Il peut être au service de l’équipe projet ou être un support pour un débat entre acteurs, permettant de construire une analyse partagée de la situation et des actions à mener. Il doit permettre d’identifier et de choisir la ou les action(s) qui seront appuyée(s), les projets à étudier, et de mener à bien ou, au moins, de définir les critères permettant de choisir ces projets. » [5]

Les résultats de la recherche-action montrent que le diagnostic permet la création de la confiance entre les acteurs et le Gret, une compréhension des représentations locales sur le(s) objet(s) en commun. Plusieurs équipes projets ont identifié cette étape comme cruciale pour le positionnement du Gret dans sa fonction de facilitateur.

Parmi les expérimentations testées, on peut citer celle d’une répartition des activités du diagnostic avec des acteurs du territoire identifiés en amont, des structures locales (union ; association ; coopérative ; syndicat ; collectif non formalisé) et les autorités locales (de l’Etat comme de la gouvernance coutumière) pour réaliser certaines activités et enquêtes ensemble. La cartographie des acteurs concernés par les objets communs, ainsi que les relations de pouvoir (vulnérabilités, interdépendances) entre ces personnes est aussi un levier indispensable pour pouvoir jouer un rôle de facilitateur par la suite.

Les restitutions et mises en débat des diagnostics sont identifiées comme des évènements clés de la dynamique collective dans plusieurs projets, car ils permettent une compréhension et analyse collective de la situation et un moment de délibération sur les actions à mener prioritairement. Ces espaces permettent aussi d’expliquer et de débattre des contraintes gestionnaires liées au cycle projet, qui sont souvent sources de tensions et d’incompréhensions entre les ONG et leurs partenaires. Il est primordial de communiquer et faire circuler le diagnostic auprès des acteurs locaux et des autres structures intervenant dans la zone du projet.

Exemple d’un diagnostic participatif mené avec les acteurs locaux : la capitalisation SENSE conduite au Sénégal  dans le contexte de réforme de délégation de service public d’eau potable.

[5] Lavigne Delville, Philippe, Emilie Barrau, et Daniel Neu. « Adapter les démarches de développement local au contexte institutionnel et aux acteurs ». Coopérer aujourd’hui. GRET, 2008. https://gret.org/publication/adapter-les-demarches-de-developpement-local-au-contexte-institutionnel-et-aux-acteurs/

Jeux sérieux

Les jeux sérieux ou “serious game”[6] sont des outils d’animation utilisés par plusieurs équipes du programme, grâce notamment à l’accompagnement du Cirad. Mais les équipes ne les utilisent pas forcément pour les mêmes finalités dans leurs projets. Ainsi, certaines s’en sont servis au début du projet pour visualiser, discuter des enjeux entre acteurs parfois antagonistes. Elles ont identifié ce moment comme important, tout d’abord pour caractériser les interdépendances entre les acteurs, mais aussi pour engager la dynamique collective. Alors que pour d‘autres, les jeux sont des supports de formulation de réglementation locale, de règles de gestion du service. Par exemple, une équipe a créé un jeu prenant en compte l’ensemble des paramètres de gestion d’un service électrique pour aider les acteurs à se décider sur leurs règles (tarif, horaires, services proposés, place du délégataire, des usagers etc.) dans le projet PCDELEC à Madagascar.

Un enjeu demeure sur l’utilisation de ces jeux par les acteurs, leur diffusion et leur impact au-delà du cadre projet.

[6] C’est un outil créé pour appuyer la compréhension des systèmes socio-écologiques, aussi utilisé comme support d’animation dans des démarches participatives. Le Cirad a réalisé de nombreuses publications à ce sujet, dont celle-ci : Serious games – Les Publications du Cirad

Des fonds d’appui

Plusieurs capitalisations des projets engagés dans le programme rendent compte d’un essoufflement des dynamiques collectives engagés à certains moments, et d’une lassitude des acteurs face à la multiplication des réunions et des temps de concertation. L’équilibre et la complémentarité à trouver entre ce type d’activités, où les résultats, évolutions sont difficilement « palpables », et des « actions concrètes », semblent un défi continu. Plusieurs d’entre elles ont identifié des actions concrètes définies, conduites et/ou analysées ensemble comme des moments structurants pour créer l’action collective voire nourrir la concertation : les opérations d’éradication de dépotoirs dans le projet Ntoto Na Mavimpi au Congo ; les sessions de nettoyage collectif des mares dans le projet Wise au Laos ou encore le recensement des ouvrages hydrauliques au Sénégal (Girel).

Pour développer les moyens pour soutenir ce type d’initiative et engager des acteurs parfois antagonistes à coopérer ensemble, certains projets ont fait le choix de prévoir un fonds d’appui dans leurs activités.

C’est un levier structurant de l’accompagnement du Gret à Sainte-Marie (Madagascar) par exemple : au début de la dynamique, deux guichets de financement de micro-projets sont mis en place par le Gret et une autre structure, qui donnent les moyens de réaliser des actions décidées en assemblée générale de la PCADDISM ou lors des réunions organisées par les cellules dans les villages. Mais seules des associations locales avec un statut officiel peuvent en bénéficier. Elles portent majoritairement sur l’environnement : éducation environnementale, mise en protection de certaines zones etc. Cependant, la plupart des associations cessent leurs activités en fin de financement, qui n’est pas renouvelé, et certains résultats ne sont pas au rendez-vous par manque d’accompagnement technique. L’équipe va ajuster sa stratégie de financement d’initiatives locales en conséquence, en concentrant ses appuis sur la plateforme citoyenne (PCADDISM), sur le pourtour de la forêt de Kalalao qui concentre un haut niveau de vulnérabilité sociale et écologique, avec un appui technique rapproché. Par la suite, l’équipe va faire le choix d’appuyer financièrement plusieurs actions proposées par les villageois, qui permettent de tester des mécanismes pilotes ou expérimentaux de gestion de la future aire protégée : des activités concrètes qui ont un lien direct avec la gouvernance partagée, comme la surveillance et la restauration des forêts, gérées avec les services techniques locaux.

 

Des échanges entre pairs pour favoriser l’empowerment

Le projet Bambou, au Laos, a développé ce type d’activités, allant jusqu’à la structuration d’un réseau de formateurs issus des villages impliqués sur les techniques de valorisation du bambou, ainsi que l’institutionnalisation d’ateliers pluri-acteurs annuels par filière où des représentants de l’ensemble des parties prenantes (chefs de village, group leaders, traders, autorités et services de district et provinciaux) se retrouvent, pour partager leur expérience, évaluer l’évolution du secteur, et formuler des priorités à travailler ensemble pour l’année à venir.

Plus d’infos dans la capitalisation de ce projet : Forêts villageoises et filières bambou dans les montagnes du Nord Laos | Gret, 2022

 

Des conditions pour adopter une approche par les communs dans le cadre d’un projet ?

[Cette partie  est en cours de rédaction. Elle sera complétée à l’issue d’ateliers de réflexion collective en 2026.]  

Enfin, une troisième entrée consiste à partir des marges de manœuvres dont on dispose et des contraintes avec lesquelles composer pour mettre en œuvre une approche par les communs dans le cadre de l’aide au développement. Cette troisième entrée s’intéresse aux conditions minimales requises pour mettre en œuvre l’approche dans le cadre de projets.

Points d’attention pour mettre un projet au service d’une approche par les communs

Les différences de logiques et de temporalités entre les projets d’appui et les dynamiques de communs interrogent sur la faisabilité d’adopter une approche par les communs dans le cadre de projet de développement. Le risque serait que l’approche par les communs ne devienne un nouveau modèle voyageur. Le défi est d’utiliser au mieux l’outil projet pour saisir les marges de manœuvre qu’il permet

Une question qui nous est souvent posée par les praticiens du développement (ONG et bailleurs en particulier) : comment intégrer l’approche par les communs dans un projet ? C’est-à-dire, comment concevoir, puis mettre en œuvre le projet de sorte qu’on puisse afficher l’“approche par les communs” dans le narratif ? Ce à quoi nous répondons : il s’agit d’intégrer le projet dans une approche par les communs et non l’inverse.

L’approche par les communs est exigeante : elle demande du temps, de la remise en question (de l’intention, des outils de gestion, de la posture et des modalités d’intervention, de la place accordée aux relations entre citoyens et pouvoirs publics dans la stratégie, etc.) et de l’incertitude. Nous faisons toutefois l’hypothèse qu’il est possible de mettre en œuvre une approche par les communs dans le cadre de projets de développement.

Mais à quelles conditions ? A quelles conditions ces projets peuvent-ils s’inscrire dans une approche par les communs?  Quel serait le seuil à ne pas franchir pour qu’un projet favorise les communs sans leur nuire ? Existe-t-il des situations, des circonstances dans lesquelles il n’est ni possible ni souhaitable de mettre en œuvre une approche par les communs?

Exploiter les marges de manœuvre de la conception à la mise en œuvre du projet

Les étapes usuelles d’un projet d’aide au développement peuvent autant être des contraintes que des marges de manœuvre à saisir pour créer les conditions de l’accompagnement sur le temps long de dynamiques de communs.

Pour que ces dix étapes deviennent des opportunités en faveur des communs, plusieurs questions méritent d’être abordées par le concepteur du projet d’appui :

  1. Veille / échanges avec les bailleurs sur les opportunités de financement :
  2. Formulation d’idée de projet : l’idée de projet est-elle formulée avec les acteurs locaux?
  3. Développement de partenariats (dont la recherche) : intention politique partagée entre partenaire? (cf commentaires Stéphanie sur “on ne peut pas agir seuls”)
  4. Rédaction de la note d’intention et de la proposition de projet / ou Manifestation d’intérêt puis offre :
  5. Négociation, contractualisation :
    • Quelle temporalité pour accompagner les processus dans la durée ?
    • Les financements sont-ils fléchés? Comment favoriser la souplesse pour se donner les moyens d’agir dans l’incertitude?
  6. Démarrage et mobilisation des équipes
  7. Mise en œuvre, suivi-évaluation :
    • Quel suivi-évaluation souple, capable de donner à voir l’évolution des dynamiques ?
    • Quelle place donner à l’animation et aux activités d’analyse collective de l’action ?
  8. Comptes-rendus techniques et financiers :
  9. Evaluation externe / Audits :
  10. Capitalisation des enseignements : la voix des commoners est-elle prise en compte dans le récit du processus d’accompagnement? Comment la capitalisation va-t-elle servir l’intéret du commun?

En miroir, nous pouvons souligner certains risques à éviter, des lignes rouges à ne pas franchir, ou des signaux d’un poids trop lourd du cadre projet sur la dynamique.

 

Elargir les marges de manœuvre ?

Les concepteurs des projets de financement (bailleurs, fondations, ministères…) ont aussi un rôle clé à jouer pour ouvrir des marges de manœuvres en faveur des communs, pour qu’une approche par les communs soit possible et pertinente :

  • Thématique du projet proposé (politique ou purement technique?)
  • Temporalité du/des financement(s)
  • Don ou prêt?
  • Petit projet, grand projet ?
  • Fléchage (pourcentage de frais administratifs, % éval externe, % audit…)
  • Temps donné entre la publication de l’offre et la date de dépôt (impliquer les populations dans la formulation de l’offre prend plus de temps)
  • Conception du modèle de cadre logique
  • Suivi-évaluation, indicateurs demandés : chiffrés? Basé sur les changements?
  • Reporting : fréquence, modalité (ex : Fondation de France “entretien oral”)

Ces questionnements peuvent dans le même temps favoriser la capacité du projet à répondre aux enjeux de localisation et de repositionnement partenarial.

Le fait que les projets de financement et les projets d’appui soient conçus et mis en œuvre de manière à créer les conditions, à toutes les étapes, d’une approche par les communs ne signifie pas pour autant que cette dernière sera pertinente et utile. Certaines conditions indépendantes du bailleur et de l’ONG semblent favoriser des dynamiques de communs :

  • Contexte socio-culturel (culture de la participation
  • Contexte politique (régime démocratique, autoritaire…)
  • Postures individuelles et positionnements des institutions (évident…)
  • Ressource, service? Plus difficile de mobiliser autour d’un service. Et service considéré comme relevant du domaine public (service public)
  • Historique du territoire vis-à-vis des projets de développement (routine de participation ou forte mobilisation? Demande locale, nationale ou proposition du projet? Relations avec la France)

Ceci souligne la nécessité d’être attentif, au-delà de la conception et de la mise en œuvre du projet, à la situation d’action dans laquelle celui-ci intervient, et à son évolution au fil du temps. Si l’approche par les communs requiert d’adapter l’outil projet, elle requiert aussi de s’adapter au contexte spécifique dans lequel elle est expérimentée.